Débuts d'Alagna et Kurzak à Liège avec Puccini in Love
L'année 2021 restera décidément comme l’une des plus éprouvantes dans l'histoire de l'Opéra Royal de Wallonie. Après des annulations de spectacles et d’autres à huis clos en raison de la pandémie, le décès du Directeur Stefano Mazzonis Pralafera (le corps et l'âme de l'ORW), et les turbulences du début de mandat de son successeur suite au renvoi médiatisé de deux chanteurs, c’est désormais un nouveau malheur qui s'abat sur la maison lyrique liégeoise : la toute nouvelle mesure décidée par le gouvernement belge impose une réduction de la jauge à 200 places, quelle que soit la capacité et la configuration de la salle. Cette décision, jugée unilatérale et disproportionnée, provoque la forte indignation du monde du spectacle vivant (en particulier de l'opéra). À Liège où la grande salle compte 1033 sièges, 80% du public attendu ne pourra donc pas voir la très attendue production d'Otello de Rossini tandis que les 13 représentations scolaires du spectacle jeune public Figaro, Le Barbier du Bois Joli sont annulées (mais le nombre de représentations tout public sera augmenté, pour jouer à plein dans la petite salle de 140 places). Néanmoins, le concert d’Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna échappe à ces mesures, au jour près car programmé la veille de la mise en œuvre de ces réductions.
Le couple franco-polonais débute à Liège comme et aux côtés du chef espagnol David Giménez Carreras, à la tête de l'Orchestre maison. Le programme choisi est exclusivement consacré à Puccini (reprenant en partie le programme du dernier album de ce duo lyrique : Puccini in love). Cet après-midi musical s'élance in medias res : d’emblée dans la dramaturgie musicale du maître italien, avec le duo "Mario, Mario" de Tosca. L'Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège répond habilement à cet air et à toute la sélection du programme, livrant un son compact en accompagnement assuré et fidèle. David Giménez Carreras assure un rapport impeccablement équilibré entre la phalange et les solistes, apportant un soutien mélodique (redoublement des voix par les cordes), sans désynchronisation rythmique ou dépassements sonores. Les résonances solistes (cors et violoncelles entre autres) sonnent toutefois un peu mates dans cette acoustique, mais l'ensemble monte à un sommet avec "La Tregenda" de l'opéra Le Villi, énergique et fulgurant crescendo orchestral qui finit en apothéose suivie des applaudissements extatiques de l'auditoire.
Roberto Alagna déploie ses vives couleurs italiennes dès son entrée sur scène, accompagné des applaudissements de ses nombreux et fidèles admirateurs dans la salle. Son interprétation transmet l'émotion des personnages qu'il incarne, soutenue par un jeu d'acteur délicat et mesuré. Le diapason médian est posé et nourri, pleinement exploité dans les parties chantées en douceur. Les aigus sont puissants mais, notamment au début de la deuxième partie, ont des cimes légèrement crispées et un peu aérées. Il retrouve pleinement sa voix et son jeu avec "Parigi! È la città dei desideri" de La Rondine, une ode sonore et suave à la capitale française où le ténor présentera prochainement son récital soliste "Du Théâtre à l'Opéra" (rendez-vous sur Ôlyrix pour le compte-rendu de ce “Be Classical” Salle Gaveau).
Aleksandra Kurzak campe avec assurance ses diverses héroïnes pucciniennes, complexes et tragiques, tant par sa présence scénique que par son engagement vocal. Son appareil dramatique est lumineux mais étoffé dans l'ensemble de son étendue vocale. Elle manifeste toute sa maîtrise technique dans “Vissi d'arte”, avec une émission dosée et équilibrée de sa longueur de souffle, ainsi que des nuances délicatement pétries, notamment le decrescendo dans les aigus. La justesse est irréprochable même dans les suraigus, tout comme le texte italien est nettement articulé. Sa voix de poitrine sait percer la masse orchestrale, et ses piani doux hautement expressifs émeuvent le public (ainsi qu'Alagna lui-même dans “Tu? Tu? Piccolo Iddio!”).
Les duos des solistes plongent le public dans une sonorité scintillante et lyrique. L'alchimie amoureuse du couple se transpose chez les personnages et dans les voix. Ce concert aux couleurs de Noël s'achève par plusieurs bis, dont deux sommets du répertoire de Puccini ("O mio babbino caro" et "E lucevan le stelle") qui siéent justement à la tessiture et à la sensibilité de chacun. Après plusieurs Dziękuję! ("Merci" en polonais) qui résonnent dans la salle, le duo offre en cadeau "L'Heure exquise" de La Veuve joyeuse, chacun le chantant dans sa langue.
Roberto Alagna clôture cet après-midi lyrique par un chant corse a cappella, récompensant un public plus qu'admiratif qui offre en retour un torrent d'éloges et d'acclamations aux artistes.
Retrouvez notre article de présentation des récitals à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège
et notre série Air du Jour dédiée à l'Otello de Rossini