Thamos, Roi d'Égypte de Mozart au Nouveau Siècle de Lille
L’intrigue compliquée de ce Thamos, Roi d'Égypte avec ses rebondissements alambiqués sur cinq actes a probablement contribué au déclin de la partition d’un Mozart encore dans la fleur de l’âge. Sa partition est celle d’une “musique de scène”, faite pour alterner avec les épisodes de la pièce de théâtre du Baron Tobias Philipp von Gebler (qui n’est pas jouée ici, comme souvent dans les rares reprises de cette œuvre). Le jeune Amadeus, dans une lettre à son père, se lamente déjà du peu de représentations de la pièce. Composée à l’âge de 17 ans, 17 ans avant La Flûte Enchantée (et la mort du compositeur), la partition de Thamos est émaillée des signatures stylistiques du jeune Mozart, couplée à un rapport aux symboles et aux mythes prégnant en dépit de son âge. Hasard calendaire ou synchronicité voulue, ce Thamos est placé sous la conduite du maestro David Reiland, qui dirigeait La Flûte à Berlin l’avant-veille. Le chef, l’orchestre et le Chœur de Namur évoluent dans une cohésion organique grâce à une direction fluide. L’ONL s’illustre dans son interprétation soignée du registre mozartien par un jeu subtil, dépourvu d’éléments superflus.
Même sans la pièce de théâtre, l'œuvre musicale déborde de l’instinct dramaturgique du jeune Mozart et laisse un espace à la performance vocale, très largement habité par les chœurs. Le Chœur de Namur déroule ici une palette de couleurs vocales satinées et des incursions solistes épanouies. Quand finalement Thamos paraît, c’est sous les traits de la basse François Lis, hélas souffrant mais qui a tenu à tenir sa partie quoiqu’il paraisse effectivement raidi physiquement et fatigué vocalement. La partie haute de son registre donne à l’écoute un timbre royal, mais les graves se noient dans la masse instrumentale.
La première de ce spectacle est l’occasion pour Damien Chardonnet-Darmaillacq de mettre à l’épreuve des regards une création visuelle audacieuse. Comme il le rappelle durant le bord de scène succédant à la représentation, “le propre même du visuel est qu’il est vain s’il est seulement exécuté, et pas reçu.” Le mariage des vidéos au fort impact graphique de Denis Guéguin mêlant esthétique futuriste et jeu sur les textures dans la viscosité des matériaux génère en effet des réactions épidermiques parmi le public (la rumeur qui enfle à la sortie de la salle tend à le confirmer : “j’ai fermé les yeux tout du long” témoigne une spectatrice). Dans leur pari de redonner corps et âme à la prêtresse Saïs (ici incarnée par Clara Hédouin), absente de la musique en dépit de son rôle-clé dans la pièce originelle, le vidéaste et le metteur en scène signent une poésie visuelle léchée et horrifique. Le spectateur assiste ainsi à toutes les étapes de la métamorphose d’une figure anthropomorphe qui se révèlera, au fil de l’action être une momie exhumée et disséquée par deux scientifiques puis une femme silenciée reprenant le pouvoir en devenant actrice. La momie pourrait ainsi représenter, outre la référence évidente à l’Egypte, une femme-chrysalide sortant de son cocon et retrouvant son identité (en lien là encore avec la pièce de théâtre où cette Saïs est prisonnière de ses identités et des hommes : Saïs aimée de Thamos est en fait Tharsis, fille de Ménès, destinée au traître Général Phéron).
Le résultat est en cela rendu complexe par les formes et les médiums employés, et par cette volonté-même de se détacher de la pièce de théâtre en proposant la musique seule, mais pour la rattacher à une autre forme de représentation audio-visuelle et en important en partie un personnage de l’œuvre théâtrale, mais métamorphosée.
La relecture de cette œuvre avec le prisme du support vidéo vient dynamiser l’écoute, questionner le statut et l’impact de la musique Mozartienne et les canons esthétiques d’un chef-d'œuvre, jusqu’à rendre son pouvoir au personnage principal féminin par une poésie visuelle exquise mais accablante. Un exercice inhabituel qui aurait visiblement tiré profit d’une sensibilisation plus importante.