Hänsel, Gretel et la magie de l'Opéra à Vichy
Ils sont un peu turbulents, aiment faire des bêtises autant que manger des bonbons, et se font gronder par leurs parents lorsque nécessaire. Un peu comme les enfants réunis au Centre culturel de Vichy en ce jour de représentation ? En tout cas, les Hänsel et Gretel présents sur la scène vichyssoise (pour l’un des temps-forts du festival jeunesse baptisé “Tintamarre”) incarnent pleinement tout ce que les personnages issus du conte des frères Grimm portent de candeur, de fraîcheur et de malice. L’opéra d’Engelbert Humperdinck composé sur un livret de sa sœur Adelheid (et qui fut créé en 1893 sous la direction de Richard Strauss) se trouve repris par la jeune troupe des Variétés Lyriques, qui fait montre une nouvelle fois de sa maîtrise dans l’art de rendre aussi accessible que féérique une œuvre lyrique ici destinée à faire rire et à émerveiller les enfants (mais aussi les adultes présents dans la salle).

Venus en voisins depuis Roanne, non loin de Saint-Etienne, les artistes de la joyeuse troupe menée par Guillaume Paire (vu dernièrement dans un drôle et touchant Blues du Perroquet) s’illustrent ainsi par leur générosité et leur dynamisme dans un spectacle spécialement redimensionné pour l’occasion. L'opéra est réduit en temps (il dure 1h, contre environ 1h40 dans sa version originale), la partition orchestrale est confiée à un petit ensemble de neuf musiciens, et les trois actes s’enchaînent sans transition. L’action est narrée par les récits (ici pré-enregistrés) de l’acteur François Rollin qui, par sa claire et impeccable diction française, pose avant chaque nouvelle scène les bases des événements à venir. Un procédé bienvenu (l’opéra étant chanté en allemand et la salle ne proposant pas de surtitrage), qui permet en outre l’alternance entre voix chantées et narration, rendant en partie l’œuvre à son statut initial de conte merveilleux.
Les enfants voient donc un opéra, mais ils écoutent aussi un récit savamment narré qui les captive d’autant plus que la mise en scène pensée par Denis Mignien (qui joue également le rôle de la sorcière) donne dans la clarté de lecture la plus totale. L’élément central du décor est la maison familiale, demeure austère (vraisemblablement dans une vaste et sombre forêt) et qui s’ouvre ensuite en très grand, dévoilant un royaume des bonbons aux mille couleurs scintillantes rempli de sucreries et confiseries en tout genre qui ont évidemment un pouvoir d’attraction immédiat sur les deux jeunes héros. Mais le piège se referme sur eux, et le paradis des caries devient l’antre d’une méchante sorcière qui ne demande qu’à manger les enfants et qui, prise à son propre piège, finit elle-même par se consumer dans ce grand four où elle voulait pousser ses jeunes proies. Alors, au cœur de cette forêt aux arbres matérialisés par des balais en osier descendus du haut de scène, les enfants peuvent retrouver leurs parents, et tout est bien qui finit bien au terme d’une heure d’un spectacle délicieux, dynamique et enjoué, empli d’une agréable fluidité dans l’enchaînement des diverses séquences.
Une troupe joyeuse et pleinement investie
Le spectacle doit aussi beaucoup, évidemment, aux artistes qui le font ici vivre. À commencer par Amélie Grillon et Alexandra Hewson, sopranos lyriques de formation qui incarnent les rôles-titres avec toute la fraîcheur et l’ingénuité attendues. La première, en Hänsel façon Poil de Carotte, use d’un chant clairement timbré et sonore, doté pour ne rien gâcher d’aigus solides. La seconde, en Gretel, dévoile une voix émise avec conviction et non sans une appréciable rondeur de timbre, venant pleinement incarner les traits juvéniles d’une jeune fille aussi innocente que guillerette.

Le rôle de Peter, le père, est lui porté par Guillaume Paire, généreux en tout : d’abord dans son incarnation d’un chef de famille folâtre à l’ivresse et à la colère un peu bouffonnes (il présente des œufs à sa femme comme un amoureux le ferait d’une bague de fiançailles), puis dans sa prestation vocale où se fait entendre une voix de baryton pleine d’assurance et d’amplitude, avec par ailleurs un réel soin porté à la diction, finement ciselée. La mère, Gertrud, est elle campée par la mezzo Marion Jacquemet qui, de sa voix incisive et sonore, au solide medium, sait osciller avec justesse entre tendresse et colère face à ses enfants un peu trop diablotins. Le rôle de la sorcière, confié ici à un ténor (comme récemment à l’Opéra national du Rhin et comme régulièrement désormais, quoique le rôle fût initialement pensé pour une mezzo). Denis Mignien est grimé à la Madame Doubtfire, à la poitrine rembourrée et aux mains gantées de blanc, là où ses idées sont surtout noires. Mais, alors qu’elle croit mener les enfants à la baguette (où plutôt à la spatule de bois), cette sorcière au grotesque hilarant, davantage désopilante que franchement menaçante pour le public, se fait finalement berner par ces jeunes proies qu’elle aurait adoré dévorer. Un rôle d’arroseur risiblement arrosé que tient ce ténor doté d’une voix solidement projetée, sans cesse à la frontière du chanté et du parlé mais avec une théâtralité d’intonation qui n’efface pas la musicalité de son chant, malgré tout.

Le rôle du marchand de sable est lui confié à Sébastien Bellegy, effrayant avec sa mine verte et ses cheveux blanchis, mais surtout maître dans l’art de la danse et du mouvement de jambes énergique et élastique. Quant à la partie orchestrale, elle est donc confiée à un effectif restreint à neuf musiciens qui, placés entre la scène et le public, au niveau du premier rang, et sous la direction du violoniste Thibaut Maudry, accompagnent l’action par leur jeu sonore et plein d’allant et de justesse. Dans cette petite salle, la proximité entre chanteurs et instrumentistes permet non seulement de se prémunir de tout décalage, mais en plus d’offrir au spectacle d’être porté, dans un même tempo, par un vif et égal élan de chant, de théâtre et de musique : pour le plus grand plaisir de l’auditoire qui, aux saluts, ne manque pas d’applaudir chaleureusement la troupe des Variétés Lyriques. De quoi faire découvrir cette œuvre et l’art lyrique à un jeune public, et divertir une salle toute entière, tous âges confondus.
