Le Duc de Rigoletto marque les débuts de Joseph Calleja à l'Opéra de Paris
Rigoletto de Verdi à l’affiche depuis octobre dernier avec Ludovic Tézier, Nadine Sierra et Dmitry Korchak (notre compte-rendu) alterne avec deux chanteurs déjà présents au cours de reprises précédentes de cette production signée Claus Guth, à savoir Željko Lučić et Irina Lungu, tandis que le ténor Joseph Calleja fait (enfin) ses débuts à l’Opéra de Paris. Depuis un peu plus de 20 ans, le ténor mène une grande carrière internationale, mais jusqu’à présent ses apparitions parisiennes se limitaient au récital, notamment au Théâtre des Champs-Elysées. Il y a déjà vingt ans, il débutait dans ce même rôle de Duc de Mantoue au Royal Opera House de Londres.
L’artiste en scène séduit d’emblée l’auditoire par sa simplicité d’approche et la sincérité de son interprétation qui ne recherche pas la singularité à tout prix. Même au milieu des danseuses de cabaret toutes emplumées qui l’entourent durant son air “La donna è mobile”, il conserve une élégance scénique qui marque bien la jeunesse dissipée de ce Duc ne vivant que pour se distraire, sans penser aux sentiments des autres ou s’en moquant royalement. Vocalement, la voix est opulente, claire de timbre, voire solaire, la ligne de chant constamment élégante est marquée par son vibrato léger caractéristique. La nuance s’allie à un art consommé du diminuendo. Seul l’aigu apparaît moins libéré, moins resplendissant dans cette première familiarisation avec l’Opéra Bastille.
Irina Lungu incarne une jeune fille tout emplie de candeur et d’amour, mais aussi résolue jusqu’au sacrifice. Sa Gilda s’appuie sur une voix au médium solide doté de couleurs particulièrement variées et délicates. Malheureusement, son air “Caro Nome” est ce soir perturbé par deux aigus douloureusement craqués, se dérobant à la technique pourtant assise de la cantatrice (traduisant soit une méforme toute passagère, soit une quinte aiguë un peu négligée avec l’approche de rôles nouveaux plus centraux).
Le baryton Željko Lučić impressionne toujours autant dans le rôle-titre. Sans être pourtant pleinement le baryton Verdi ici attendu, il offre une version profondément douloureuse et percutante du personnage. La voix accuse néanmoins désormais les traces du temps et le soutien apparaît moins durablement assuré, entraînant la transposition de quelques aigus. Mais l’artiste occupe pleinement la scène avec le poids de l’expérience et de l’authenticité. Son double, le comédien Henri Bernard Guizirian, le suit comme son ombre dans la peine et la désespérance.
Le reste de la distribution demeure inchangé avec le Sparafucile sorti des enfers de la basse profonde Goderdzi Janelidze, le Comte de Monterone puissamment dramatique de Bogdan Talos à la malédiction impitoyable et la Maddalena partagée dans ses sentiments de Justina Gringyté, vocalement trop peu présente dans le fameux quatuor “Bella figlia dell’amore”.
Cassandre Berthon dans la joliesse de son timbre et phrasé (en Giovanna), Jean-Luc Ballestra (en Marullo incisif), le toujours solide Florent Mbia (Comte de Ceprano), ou encore la jeune mezzo-soprano Marine Chagnon en Page poursuivant sur la foulée de son entrée à l’Académie maison et sa récente prestation dans le rôle-titre de Giuditta à Evian complètent avec soin la distribution vocale.
Placé à la tête des chœurs de l’Opéra très engagés dans la production et de l’Orchestre, Giacomo Sagripanti offre une lecture très lyrique de la partition, sans accentuer durablement les parties plus sombres, voire violemment dramatiques : une approche spécifique et qui se veut résolument humaine.