Madame Raymonde et son gros orchestre dirigé par Hervé Niquet Salle Gaveau
Associer Hervé Niquet et l’Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie au personnage bigarré de Madame Raymonde n’allait pas, de prime abord, de soi. Mais le chef d’orchestre aime toutes les formes de musiques, dont la chanson française des années 1920 et 30. Il manie l’humour et la dérision avec un art certain sinon consommé. La rencontre des deux artistes porte ainsi largement ses fruits.
Bien entendu, Madame Raymonde n’est pas une cantatrice, mais une chanteuse réaliste des rues dont la gouaille et la franchise étourdissent. Créée en 1988 et interprétée par le talentueux comédien Denis d’Arcangelo, Madame Raymonde -large robe improbable scintillante, maquillage accentué et élégant collier de fausses perles- paraît habituellement seule en scène avec son complice accordéoniste Sébastien Mesnil, dit le Zèbre. Une table de bistrot, une bouteille de vin rouge, quelques verres suffisent à définir son univers consacré à la chanson réaliste ou fantaisiste de l’entre-deux guerres, avec quelques échappées vers un univers plus contemporain comme celui de l’extravagante Brigitte Fontaine (Je suis décadente), Ricet Barrier (C’est spécial, mais j’aime), Charles Aznavour revisité par ses soins pour Je m’voyais déjà ou de la regrettée Anne Sylvestre. Inspirée à l’origine par Arletty, Madame Raymonde puise aux sources des grandes chanteuses de l’époque dont la larmoyante Berthe Sylva, les réalistes Damia ou Fréhel, voire la fantaisiste Marie Dubas.
Son héroïne demeure toutefois la comédienne et chanteuse des années folles, Gaby Montbreuse dont le répertoire ne nécessite pas une trop grande introspection : Je cherche après Titine (chanson que Charlie Chaplin utilisera plus tard dans son film Les Temps modernes), Il m’a possédée par surprise ou Le Roudoudou…
Guidée par les bons soins de la chanteuse éclectique Juliette, Madame Raymonde -voix assurée et à l’interprétation toujours juste, jamais caricaturale- arpente la scène, interpelle le public, le chef ou la harpiste, se lance dans de longues et délirantes digressions qui font hurler de rire tant les spectateurs que les membres de l’orchestre. Son histoire revue et corrigée de Ben-Hur notamment, dont la fameuse course de chars, avec l’assistance d’Hervé Niquet dirigeant avec effervescence la musique de Miklós Rózsa composée pour le film de William Wyler avec Charlton Heston, constitue le clou du spectacle.
Entre les chansons graves ou proches de la désespérance voire de la mort, comme Du Gris immortalisé par Berthe Sylva, Madame Raymonde s’attaque au répertoire humoristique de Georgius comme avec Le Gardien du phare de Joinville et ses sous-entendus lestes. Mais l’émotion perce souvent notamment avec la bouleversante chanson d’Anne Sylvestre, hommage au spectacle et au théâtre, Après le théâtre.
Durant deux heures pleines, Madame Raymonde, Le Zébre et Hervé Niquet à la tête de l’impeccable Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie -phalange pourtant bien éloignée de son répertoire classique habituel-, s’en donnent à cœur joie dans une parfaite complicité, au grand bonheur d’un public unanimement conquis et qui quitte la Salle Gaveau avec un sourire bienvenu en ces temps moroses.