Un crépuscule en pleine lumière : Strauss et Beethoven par Rachel Willis-Sørensen au TCE
La soirée, qui associe Beethoven et Strauss, trouve sa cohérence dans la direction de Cristian Măcelaru. Le chef, qui remplace James Gaffigan, est face à son orchestre et aux musiciens qu’il connaît. Il parvient à communiquer un souffle du début du concert à sa fin. Les phrasés sont tenus, les effets dramatiques emportent tout sur leur passage. Une énergie qui se diffuse dans tout l’orchestre avec un son franc et généreux mais souple. Beethoven en devient opératique, que ce soit l’ouverture Leonore II, sombre et lyrique ou celle d’Egmont aussi précise que brillante. Ce dynamisme réussit sans doute un peu moins dans certains passages, comme la fin d’Im Abendrot (Au crépuscule) d'habitude plus poétique.
Rachel Willis-Sørensen chante ce soir les Quatre derniers Lieder de Richard Strauss et la scène finale de Capriccio, l’ultime opéra du compositeur. À cette musique mélancolique et lyrique, la soprano apporte son timbre sombre et profondément singulier. Si la manière de gérer certains intervalles ainsi que le son, à la fois brillant et vaporeux, rappellent le chant de Renée Fleming, la voix possède un medium aux couleurs fauves, noble et envoûtant, plus proche de chanteuses wagnériennes. Un voile pourtant étouffe un peu l’instrument qui semble à certains moments ne pas vibrer de manière libre, notamment lors de certaines attaques où le son n’est pas immédiatement dehors. Un son de gorge se fait alors entendre et le souffle retenu affecte la voix d’un vibrato trop prononcé. L’instrument reste pourtant d'exception par ses capacités et sa couleur.
La chanteuse est très convaincante, parvenant au bout des phrases redoutables que Strauss a placées dès le premier Lied “Frühling” (Printemps). La soprano est d’abord prudente, le timbre restant un peu confidentiel dans le medium face à l’orchestre straussien, notamment au début du deuxième Lied “September”, mais il s’affermit peu à peu. Le souffle est puissant et l’interprète précise, distinguant l’atmosphère de chaque poème et s’engageant de plus en plus dans le texte, jusqu’à “Beim Schlafengehen” (L'heure du sommeil) et “Im Abendrot” où la couleur de la voix porte tour à tour la mélancolie et l’espoir, hypnotisant le spectateur.
Pourtant, c’est le finale de Capriccio qui trouve Rachel Willis-Sørensen tout à fait à son aise. La soprano dessine une scène de théâtre, lisible et émouvante, où elle est la Comtesse Madeleine hésitant entre deux hommes et deux arts, avec un sens du comique insoupçonné qui contraste avec la dignité intrinsèque du timbre. C’est d’ailleurs un rire ému du public qui accueille le dernier haussement d’épaule du personnage, décidément incapable de se décider. La voix de la chanteuse et sa diction semblent se libérer avec le jeu et elle soutient avec fougue les grands éclats de l’orchestre quitte à blanchir un peu sur les derniers mots.
Cristian Măcelaru est attentif à la chanteuse, avec laquelle il est presque coude à coude, la laissant respirer quand cela est nécessaire et la portant par sa direction musicale jusqu’au bout de ses phrases. Il tire le meilleur des très bons solistes de l’orchestre, notamment de Luc Héry, violon de “Beim Schlafengehen”. Un concert dont le public sort mélancolique et heureux.