Récital Georg Nigl à La Monnaie, retour vers le futur des salons romantiques
Georg Nigl propose à son public une heure de réflexion autour du sens-même du récital, de la puissance du langage et d’une passion indéniable pour la langue allemande avec une plongée en forme d'éternel retour vers les Lieder romantiques. Le baryton est accompagné de la pianiste Elena Bashkirova mais les deux sont accompagnés par la comédienne Martina Gedeck qui vient comme approfondir encore le contenu prosodique, la musicalité de la langue allemande en interprétant elle aussi les textes des Lieder de Schubert, Nietzsche, Beethoven, Hugo Wolf, Bertolt Brecht, Brahms, Mahler.
La soirée replonge ainsi vers l'origine, le berceau du Lied : ces salons cossus du XIXème siècle cernés de tableaux pittoresques où la prose et les vers étaient déclamés, joués, chantés dans une même soirée. Se référant à la fameuse maxime de Nietzsche (philosophe mais aussi compositeur) : "la vie serait une erreur sans musique", la musicalité de ces textes est retranscrite, par la musicalité intrinsèque de leurs mots ou celle composée par des musiciens de génie. L’alternance de textes chantés et parlés permet la rencontre des voix, dans un programme de surcroît bâti sur deux axes majeurs : une première partie vitale, énergique et intense dédiée à l’amour, tandis que la seconde s’inscrit dans une dimension "humaine, trop humaine" aurait écrit Nietzsche.
Le baryton Georg Nigl revient vers le public bruxellois dans le sillon et les souvenirs de répertoires plus contemporains : la création mondiale Macbeth Underworld de Pascal Dusapin, mais aussi son Achille de Penthesilea ou encore le rôle-titre de Jakob Lenz. Le chanteur revenant aux racines du romantisme, revient comme au cœur de son répertoire, entre ses spécialisations contemporaine mais aussi baroque. Ce mélange inscrit donc son interprétation dans un registre très expansif et vivant. L'énergie, parfois plus induite et indolente en récital, est ici profonde et très expressive, parfois poussée à son maximum. Revelge (Réveil) notamment, de Gustav Mahler, est une colère puissante face à l’agonie d’un soldat, moins dormeur du val qu'animal et brutal. Georg Nigl déroute, joue d'une colère qui dépasse le traditionnel exercice narratif.
A l’opposé des choix interprétatifs du baryton (offrant donc un contraste intéressant ou difficile à supporter), le piano d’Elena Bashkirova se trouve bien tempéré, précis, aérien. Les notes semblent percer avec élévation, mais elle aussi résolument moderne.
Apportant tout autant sa touche personnelle et contemporaine, l’actrice/comédienne Martina Gedeck (notamment connue pour ses rôles dans les longs-métrages La Vie des Autres et La bande à Baader) tient ici le rôle de conteuse, de narratrice des textes et poèmes. Elle va même jusqu'à bouleverser les registres interprétatifs par un chant maladroit mais sensible seyant à l'esthétique cabaret de Bertolt Brecht pour Erinnerung an die Marie A. (Mémoire de Marie A.).
La prosodie semble alors triompher dans ses trois formes, avec ces trois artistes : forte de sens et d’émotion, parfois violente et désagréable, mais risquant toujours la note pour décrire le mot.