Apocalypsis en ouverture de saison à la Cité musicale de Metz
Faisant découvrir, ou redécouvrir le compositeur Reynaldo Hahn (1874-1947), l'Orchestre National de Lorraine devenu Orchestre national de Metz en 2018 interprète le poème symphonique Nuit d'amour bergamasque. Cette œuvre d'écriture très fine et d'esthétique délicatement romantique donne particulièrement à entendre deux harpes, un célesta et un saxophone ténor, qui se partagent élégamment la vedette avec un orchestre soucieux de l’équilibre sonore. Même si les flûtes rattrapent in extremis l’émission de leurs tenues de notes au premier mouvement, passage délicat puisque quasiment soliste, la qualité d’ensemble repose sur une justesse et des pupitres de cordes qui n’abusent pas du vibrato, loin s’en faut.
Durant ce même programme, repris aux trois-quarts le jour suivant à Laon, l'orchestre interprète également le Concerto n°2 de Camille Saint-Saëns, interprété au piano par Louis Schwizgebel. Habile de ses doigts, et même prestidigitateur, il fait sonner le piano Steinway & Sons de gestes précis tout en faisant disparaître derrière lui l’idée qu’il puisse y avoir une quelconque difficulté technique dans la partition, qu’il joue évidemment par cœur. L’unité musicale ne souffre pas même de cors pourtant légèrement désynchronisés pendant le deuxième mouvement, et le public, amusé, remarque bien avec quel détachement teinté d’humour les doigts du pianiste portent la fin de la mélodie dans la partie aiguë du piano. Au troisième mouvement, dynamique, le piano prend une bonne place dans l’espace sonore, masquant un peu le pupitre des vents, notamment du hautbois, pour lancer l’orchestre dans l’aventureux passage à contretemps écrit par Saint-Saëns, puis dans une forme d’accélération rendant la performance un peu plus extrême. Le spectacle garanti, le public l’applaudit une petite dizaine de minutes et le fait revenir par trois fois. Interprétant en bis la Sarabande extraite de Pour le piano de Claude Debussy, Louis Schwizgebel fait écho à Iberia, autre pièce jouée dans le programme.
Ainsi, autre chef d’œuvre de la musique française, que le chef David Reiland défend avec grande conviction, Iberia, de Claude Debussy, requiert à la fois de la témérité pour le chef et de l’endurance pour l’orchestre (qui doit tourner les pages en grande vitesse). Deux heures après ce début de concert, la phalange laisse néanmoins échapper quelques signes de fatigue par-ci par-là : des mini-décalages dans les pupitres de violons au premier mouvement, un pupitre de bassons un peu effacé en deuxième mouvement, des traits à la contrebasse aux contours un peu flous. Considérant la densité de ce programme, rien de bien étonnant ni dramatique non plus, et le public s’empresse d’applaudir dès la dernière note, et pendant encore cinq minutes.
Ce concert d’ouverture, sans pouvoir manifester de schéma musical évident, sans doute pensé comme un aperçu aussi représentatif que possible de la saison de l’orchestre, comporte donc dans l’ordre initial : Hahn, Saint-Saëns puis Debussy. Mais c’est surtout la première œuvre de la première partie de programme qui marque cette soirée (et lui donne son nom), en l’occurrence une création mondiale d’Édith Canat de Chizy. Sa dernière pièce en date, Apocalypsis, pour chœur et orchestre, écrite durant les périodes de confinement, livrée en juillet dernier aux musiciens, est jouée à Metz pour la première fois afin de célébrer les 800 ans de la Cathédrale de Metz. De l’aveu même de la compositrice, le thème de cette œuvre n’est que coïncidence avec l’époque actuelle. Mais d’un autre côté, cette œuvre est allégorique dans le sens où elle appelle à une « renaissance ». Constituée de huit parties, Apocalypsis explore l’idée d’une Apocalypse biblique, piochant dans différents textes d’ouvrages comme l’Apocalypse selon Jean, des textes de Nostradamus ou d’Hildegarde de Bingen. Les textes sont en trois langues (français, latin, anglais) et, pour le mot Maranatha, araméen. Pour cette création, l’Orchestre national de Metz est accompagné par l’ensemble vocal Les Métaboles (en résidence à la Cité Musicale - Metz pour cette nouvelle saison), préparé par Denis Comtet. Il prend ce soir la forme d’un chœur de 32 voix, quinze femmes et dix-sept hommes, dont un contre-ténor, toutes et tous habillés de noir et debout sur deux rangs à l’arrière-scène. Dès la première partie, le ton grave est donné avec des hommes utilisant la technique de la voix fry ("friture vocale"). Le chœur habitué aux techniques contemporaines donne de sa puissance même dans les chuchotements des ténors. À la fin de ce prélude, la puissance sonore est maximale et couvre entièrement un orchestre pourtant déjà puissant. Les parties qui s’enchaînent sans interruption permettent d'assister tour à tour à une série de mouvements rapides de fragments mélodiques entre les pupitres instrumentaux, à des flots synchrones et asynchrones de traits mélodiques, de contrastes très forts entre des passages solistes, et des tutti d’orchestre. Et ce qui se passe à l’orchestre se propage aussi au chœur, et entraîne un public visiblement concentré dans une spirale où les passages compréhensibles sont en français ou en anglais, et les passages en micro-montages de textes, comme des brouillards de mots, en latin. Ce chœur laisse pourtant percevoir, durant toute cette œuvre, une homogénéité, voir une neutralité de timbres. Sans vibrato, l’accent est porté sur les consonnes vocales, ce qui produit un effet spatial particulièrement intéressant lors des échos de texte.
Apocalypsis se conclut sur une montée finale qui, bien que très dense, résonne comme une lueur d’espoir, comme le Finale d’une œuvre inouïe d’un Igor Stravinsky contemporain, complexe mais produisant un résultat qui fait dire à l'auditoire : « déjà fini ? ».
Une belle création mondiale, Apocalypsis de la compositrice Edith Canat de Chizy, puis un voyage dans la musique française, Hahn, Saint-Saëns, Debussy, par lOrchestre national de #Metz, dirigé de main de maestro par David Reiland pic.twitter.com/W7FCoIvV7j
— Nicolas Tochet (@nicolastochet) 17 septembre 2021