Au Verbier Festival, la jeunesse internationale honore la mélodie française
Un laboratoire. C’est ainsi que le Verbier Festival présente son Academy qui, lors de chaque édition du Festival depuis sa création en 1994, se fait fort d’accueillir de jeunes chefs d’orchestre, instrumentistes et chanteurs venus du monde entier afin de parfaire leur formation dans la station du Valais. Un intense coaching de près de trois semaines (la durée du festival), au terme desquelles les élèves se voient offrir la possibilité de se produire en concert voire, dans le cadre de l’art lyrique, dans un opéra (La Bohème pour cette édition 2021, les représentations de La Fanciulla del West et de l’acte II de Tristan et Isolde, où les jeunes artistes devaient tenir des rôles de comprimari, ayant finalement été annulées après la découverte de cas de Covid dans les rangs du Verbier Festival Orchestra). Une formation intense donc, et une récompense en forme d’apparition scénique, mais aussi des coaches de renom : Stéphane Degout et Véronique Gens dans le cas des chanteurs lyriques dont il est ici question, et dont le potentiel vocal est déjà fort bien affirmé.
Parmi cette relève prometteuse venant ici présenter les fruits de son travail, et dans un programme mettant à l’honneur la mélodie française, Edward Kim est le premier à se produire en l’église de Verbier (un cadre intimiste, à l’acoustique boisée favorable aux chanteurs). D’emblée, le baryton sud-coréen annonce la tonalité fort qualitative du concert. De sa voix puissante aux riches couleurs, l’artiste, qui étudie au Royal College de Londres, vient sublimer l’esprit des trois mélodies qui composent le Don Quichotte à Dulcinée de Maurice Ravel, recueil écrit en 1932 sur des poèmes de l’académicien Paul Morand. Tantôt d’humeur poétique (Chansons romanesque et épique), tantôt tenté par l’esprit de la fête et de la consommation de quelque bon vin pour célébrer l’amour (Chanson à boire), le baryton place tout le riche potentiel de son outil vocal au juste service des ambiances à dépeindre, avec une ligne de chant ample et homogène dans chaque registre, et une délicatesse de velours dans le phrasé.
L'auditeur apprécie tout autant la performance suivante, celle du ténor gallois Dafydd Jones, qui s’attaque lui à du Fauré (mélodies Nell et Clair de Lune) puis à du Chausson (pièce Le Colibri). Celui qui étudie également à Londres use d’une voix au timbre empli de clarté, émise avec aisance sur une belle largeur de tessiture. Le legato est fort qualitatif, et la diction du français soignée, des consonnes bien appuyées ouvrant sur des voyelles toutes en rondeur et en sonorité (ce qui se remarque particulièrement dans ce Clair de Lune où se trouvent joliment mis en valeur les vers en décasyllabes et les rimes croisées de Paul Verlaine qui, par leur rythmique enjouée, possèdent déjà une musicalité propre).
La mezzo norvégienne Eira Huse trouve en des mélodies de Nadia Boulanger (Chanson, J’ai frappé, Cantique) l’opportunité de faire briller sa voix chaudement timbrée et agréablement vibrée, qui plus est émise avec aisance dans chacun des registres. Le medium est charnu et le grave assuré, l’artiste se montrant pleinement convaincante dans l’expression de la déploration, comme dans ce Cantique dont les paroles sont signées Maurice Maeterlinck, ici lustré par une juste et précise attention portée à la balance des nuances.
Le Britannique Edward Jowle capte l’attention lui aussi, mais dans un autre registre : celui d’un baryton-basse aux moyens d’envergure, dont l’émission se fait retentissante dès les premières notes des airs de Duparc (Le Manoir de Rosemonde), Gounod (L’Absent) ou encore Poulenc (Hôtel, extraits des Banalités) qui lui sont ici confiés. La voix est sonore et le timbre aussi noble que chaud. Les emplois mezza voce sont polis avec le plus grand soin (les passages fortissimo, sans être excessivement sonores, ne manquant pas de caractère non plus). La fluidité dans les changements de registre, rendant la ligne de chant homogène, n’en est pas moins appréciable.
Charme vocal et avenir prometteur
Jillian Tam, 20 ans à peine, possède une voix de soprano fort charmante à l’écoute, encore juvénile mais déjà fort mélodieuse et affirmée en émission, avec des aigus à la brillance prometteuse, où le vibrato s’épanouit davantage que dans les autres registres. Une voix ici entendue dans les Chansons de Bilitis de Debussy, et qui ne demande qu’à gagner en largeur et en épaisseur de timbre. Succédant à la benjamine de l’Academy, la Française Mariamielle Lamagat se présente avec une voix davantage assurée, facilement projetée et souple dans le passage des registres, les notes les plus aiguës étant d’autant mieux loties en termes d’éclat sonore. D’un soprano seyant fort bien Aux Officiers de la garde blanche (mélodie de Poulenc sur un texte de Louise Vilmorin) autant qu’à un Cœur en péril (pièce signée Albert Roussel), la jeune cantatrice se montre ensuite envoûtante et pleinement musicale dans la fameuse valse sentimentale d’Erik Satie, Je te veux, interprétée avec une telle conviction et un tel plaisir communicatif qu’elle donne l’envie au public de battre le rythme par des mouvements de pieds (envie non refrénée, chez quelques-uns).
C’est ensuite l’envie de rire qui prend ce même public au moment où le Canadien Jean-Philippe Mc Clish entreprend de passer en revue le Bestiaire de Poulenc (sur des textes d’Apollinaire). Nanti d’un charisme évident (et d’un accent québécois pour le moins prononcé), le baryton-basse use d’un sens de l’humour généreux, et d’un goût visible pour l’amusement, pour camper divers animaux (dromadaire, chèvre, sauterelle, etc.) qui lui donnent tous l’occasion de mettre en valeur une voix ardemment timbrée, au medium corsé et aux graves de belle tenue sonore. Enfin, Alexander York (ancien pensionnaire de l'Académie de l'Opéra de Paris) mérite aussi de belles mentions, pour son instrument de baryton émis avec prestance et assurance, avec une belle amplitude aussi, le vibrato restant lui perfectible. Après une première intervention portée par un phrasé joliment soigné dans la mélodie En sourdine de Fauré, puis après un duo complice et complémentaire avec Jean-Philippe Mc Clish (dans les Chansons de Don Quichotte de Jacques Ibert), le chanteur américain relève avec brio le défi rythmique (des “Zig et zig et zig” à toute vitesse) et mélodique imposé par la fameuse Danse macabre de Saint-Saëns ici portée à la voix par un texte d’Henri Cazalis.
Le public applaudit vivement la performance, tout comme elle salue l’impeccable accompagnement du pianiste sud-africain James Baillieu, dont le jeu vient en complet appui des solistes vocaux tout en laissant percevoir une virtuosité certaine et une technique de jeu déjà bien rodée, aussi. Des honneurs qui valent pour l’ensemble de ces jeunes artistes appelés, dans un futur proche, à voler de leurs propres ailes bien au-delà des sommets suisses de Verbier.