Charme et poésie au Château Rosa Bonheur avec le duo Wasserfall
Marie-Rosalie Bonheur (1822-1899), dite Rosa Bonheur, établit des records de vente d’œuvres de son vivant. Pourtant, son nom est aujourd’hui oublié du grand public. Face à cette injustice, sans doute parce qu’elle était une femme, des passionnés ont voulu participer à revaloriser la création féminine avec ce Festival Rosa Bonheur, également l’opportunité de découvrir le Château de By, aujourd’hui musée-château, situé sur la commune de Thomery en lisière de la forêt de Fontainebleau, dont une aile est l'impressionnant et surprenant atelier de la peintre et sculptrice. C’est donc dans le parc de la propriété, tout à fait charmant et très bien entretenu, que le public est convié en ce début de soirée au concert inaugural de cette deuxième édition. Assis sur des chaises blanches ou dans des transats, les auditeurs font face à la façade du château éclairé par un soleil éclatant, chauffant agréablement les nuques tout en attendant les artistes.
Alors que le confinement les empêchait de se produire en concert, le duo Wasserfall, constitué de la pianiste Camille Delaforge et du baryton-basse Guilhem Worms, a été accueilli en résidence au musée-atelier Rosa Bonheur. C’est durant ce temps qu’en explorant les archives de l’artiste, ils ont découvert des partitions, dont certaines dédicacées, manifestant la passion de Rosa Bonheur pour la musique et particulièrement le chant. C’est donc à partir de ces découvertes que le duo propose, en compagnie de leur ami comédien et danseur Raphaël Cottin, un programme évoquant cette musique française qui était si près de son cœur, avec des mélodies de Lalo, Fauré, Viardot ou Bizet mais également de compositeurs américains, dont Aaron Copland qui a étudié avec Nadia Boulanger tout près de là, au Château de Fontainebleau et qui, peut-être, a eu l’occasion de visiter l’ancien atelier de Rosa Bonheur.
Guilhem Worms est annoncé souffrant. Néanmoins, protégé par ses lunettes de soleil durant la première partie de concert (le soleil est éblouissant en cette fin de journée), il fait tout de suite entendre une voix de baryton-basse profonde, bien assise avec un soin tout particulier porté à la diction. Aidé d’un vibrato ample, sa voix sonne aisément. Il se montre encore plus engagé physiquement, voire malicieux au cours de la soirée, notamment dans la Vieille chanson de Bizet ou avec des aigus assurés dans le captivant Orage de Pauline Viardot. Il est soutenu avec une expressivité tendre et une attention équilibrée par Camille Delaforge au piano. Elle fait preuve d’une très belle variété de nuances, particulièrement dans Après un rêve de Gabriel Fauré. Son touché fait également entendre un accompagnement caressant de la ligne mélodique, portant avec finesse la direction des phrasés du chanteur : L’Esclave d’Edouard Lalo en est un bel exemple.
Avec la complicité du comédien et danseur Raphaël Cottin, ce programme est rythmé par des interludes présentant Rosa Bonheur, notamment autour de l’abécédaire concocté par la docteure vétérinaire Léa Rebsamen. Le danseur n’hésite pas à faire participer le public qui peut ainsi, entre de doux moments de poésie, partager aussi des moments de sourires. C’est ainsi que certains peuvent faire entendre le cri de la vache grâce à quelques boîtes à meuh lors de l’intéressant J’ai vu un chat, traduction de I bought me a cat d’Aaron Copland.
Le programme se conclut sur un air particulièrement lié à Rosa Bonheur. C’est en effet sur les notes du Lac de Louis Niedermeyer que les yeux de l’artiste se fermèrent pour toujours. Il résonne aujourd’hui, 122 ans après, de nouveau devant ce château, avec une interprétation à l’expressivité simple, plutôt authentique.
Pour satisfaire la demande du public charmé, le duo offre tout de même en court bis la chanson écrite par Bizet pour Rosa Bonheur, à l’occasion de sa remise de la Légion d’Honneur en 1866 « Notre Rosa n’était jamais coquette ». Une belle soirée qui prouve, s’il le fallait encore, que des femmes exceptionnelles savent inspirer par-delà les arts et les siècles.