L'Affaire Clemenza : mise en abyme de la création, à La Seine Musicale
Dans la petite salle de La Seine Musicale, alors que les spectateurs s’installent, Mozart est déjà sur scène en pleine écriture. Dans ce rôle, Antoine Bretonnière gesticule et articule le génie et la folie qui caractérisent le compositeur. Dissimulés dans la salle, les chanteurs fredonnent les premières notes de la soirée à la plus grande surprise du public qui se met à chercher la provenance de ces vibrations harmoniques. Les artistes donnent tout de suite le ton de la soirée, en rejoignant Antoine Bretonnière sur scène et colportant les derniers ragots au sujet de Mozart. Les dialogues sont modernes, incisifs et percutants. Entre théâtre et opéra, le public rit et écoute religieusement les airs s’enchaîner au fil de l’histoire, comme dans une comédie musicale. Le comique de geste s’associe au comique de mots pour souligner l’absurdité de la situation : Mozart en chaussettes enfile ses talons aiguille, le clarinettiste se jette sur les genoux en vraie rock star, et les chanteurs se bouchent les oreilles sur les notes aiguës de leurs camarades. Une réelle atmosphère de petite troupe de théâtre se dégage des artistes qui, comme le public, sont ravis de pouvoir à nouveau partager leur passion de la scène.
L’intrigue créée par Franck Krawczyk et la production Plein Jour crée un parallèle entre la fin troublée de la vie de Mozart lorsqu’il est poursuivi par son protecteur le Prince Lichnowsky et les répétitions de La Clémence de Titus. C’est dans cet affrontement des idées que se révèle le thème du pardon qui culminera à la fin de la représentation.
Parmi les chanteurs, quatre femmes et deux hommes se partagent et s’échangent les rôles. La soprano Margaux Poguet est une Vitellia caméléon : son vibrato changeant lui permet d’aller tricoter des vocalises de rossignol tout en gardant une belle largeur, notamment dans les graves qui restent puissants et timbrés lorsqu’elle va les chercher en poitrine en incarnant le Prince Lichnowsky. Morgane Kypriotti apporte beaucoup de douceur en Servillia et Mademoiselle Destary, plaçant son soprano dans le masque et préférant les attaques lisses avant d’y ajouter un délicat vibrato. Chez les mezzo-sopranos, Marion Vergez-Pascal montre un timbre large et rond dans ses interprétations d’Annio et de Constance, inquiète pour son époux. Une vraie puissance se dégage même dans les ensembles, où elle tire son épingle du jeu en gardant un timbre clair et en usant de ses résonateurs. Dans les rôles de Sesto et de Mozart au cours de l’acte II, Lise Nougier époustoufle le public par la gymnastique de son instrument tout en nuances. Ses envolées claires sont projetées, solaires, tandis que ses pianissimi bouche à peine ouverte semblent suspendre le temps.
Du côté des messieurs, le ténor Arnaud Rostin-Magnin incarne Tito puis le Prince Galitzine d’une gorge serrée lui donnant des reflets métalliques. Manquant par moment de projection dans ses dialogues, il sait pour autant montrer ses talents de soliste et de comédien. Adrien Fournaison joue Publio et Vladimir, majordome du Prince Galitzine, qui déclenche l’hilarité générale en reprenant notamment une Marseillaise anachronique pour décrire la situation révolutionnaire française, en imitant des accents russes puis espagnols. Dans les passages plus sages, il adoucit et arrondit son timbre, ornant de peu de vibratos pour une impression de largesse et de velours.
La soirée se termine avec un tutti autour de la pianiste Vjola Paço (en quatre mains avec Antoine Bretonnière pour le dernier morceau) et du clarinettiste Carjez Gerretsen, tous deux virtuoses en seuls accompagnants de cette joyeuse troupe. Après de très chaleureux bravi et des applaudissements enthousiastes, les artistes referment la soirée sur un ton plus solennel avec l’Ave Verum Corpus, illustrant l’émotion partagée de pouvoir vivre à nouveau cette musique avec le public.