Récital tambour battant à l’Opéra de Marseille
Ce second concert en remplacement de L'Africaine avec les solistes engagés (notre compte-rendu du premier récital) propose un programme en français avec Carmen de Bizet, Hérodiade et Manon de Massenet ainsi que Dinorah ou Le Pardon de Ploërmel faisant le lien avec Meyerbeer.

Tel un pirate, le baryton Florian Sempey s’avance sur scène pour chanter l’air d’Hoël dans Dinorah de Meyerbeer, son timbre est assuré et c’est avec vivacité et bonne humeur qu’il l’interprète. Le ténor Florian Laconi poursuit avec "Ne pouvant réprimer les élans de la foi" de l’Hérodiade de Massenet (qu'il interprétait à Saint-Etienne en 2018), déployant sa couleur de voix particulièrement aiguë et faisant résonner son vibrato métallique. Il démontre un soutien sans faille et une homogénéité vocale sans problème dans le passage (entre le médium et l'aigu). Son crescendo sur « Seigneur » est particulièrement bien mené, avec précision et personnalité. Sa prestation la plus en vue est sans doute celle où il chante le rôle de Don José dans le finale de Carmen. Son placement de voix assez haut donne beaucoup d’expressivité à son air, rendant implacablement « Je t’aime et je t’adore » à Carmen avant de la tuer.

Sophie Koch interprète une Carmen sombre et torturée. Ses attaques sont noircies et crispées, car son interprétation donne à entendre l’issue fatale de la scène. Ses changements de couleurs de voix et son timbre parfois nasalisé renvoient l’image d’une bohémienne lucide face à l’inéluctable qu’elle pressent. Le quintette de Carmen est chanté avec beaucoup d’entrain et de gaieté, ce qui concourt à é(mer)veiller le public et à le dynamiser.

La soprano Hélène Carpentier entonne alors “Je suis encore tout étourdie" dans Manon de Massenet. Cet air lui permet de montrer tous les aspects de sa virtuosité vocale, effectuant des ralentis pour mimer l’étourdissement provoqué par l’ivresse. La soprano se montre habile et n’use pas de glissandi qui pourraient évoquer une certaine vulgarité (et qui sont pourtant souvent employés pour l’interprétation de l’air). Avec habileté, elle fait entendre un vibrato cristallin tout en nuances en étirant la prononciation d’« étourdie » afin de réaliser une complète mise en abyme du texte et du contexte dramaturgique. En outre, elle chante avec une excellente diction, ce qui permet au public, attentif, d’écouter, de comprendre et d’être conquis.

Le ténor Christophe Berry poursuit la Manon de Massenet avec l’air de Des Grieux. Ses attaques sont précises et son chant déploie une certaine narrativité qui permet de ne pas isoler les paroles dans certains thèmes mélodiques mais de les appréhender dans leur continuité et leur logique globale.
Vêtue d’une superbe robe, la soprano Laurence Janot chante l’air de Micaëla, "Je dis que rien ne m'épouvante" avec une particulière délicatesse et des pianissimi très gracieux qui n’entravent en rien une articulation précise des paroles.
Le public accorde un tonnerre d’applaudissements aux interprètes. Le chef Roberto Rizzi-Brignoli, pris d’une transe de direction orchestrale propose dès lors un bis sur l’air du toréador avec une acuité furieuse, une écoute concentrée et symbiotique des instrumentistes et des chœurs. Son mot final, touchant, est destiné à remercier l’enthousiasme du public, se référant à un aphorisme d’un poète espagnol disant que les battements du cœur sont la forme primitive des applaudissements.
