L’Enfant noir au Musée du Quai Branly
C’est à partir de ce récit que Simon-Pierre Bestion (Directeur artistique de la Compagnie La Tempête) a conçu ce spectacle, présentant des musiques de Jean-Louis Florentz (1947-2004), compositeur fasciné tout au long de sa vie par l’Afrique (dans ses voyages et recherches), lui qui se définissait comme « un corps d’occidental habité par un esprit africain », qui composa notamment pour orgue des Laudes (1985) et donc L’Enfant noir (2001), dont il n’acheva que le prélude. Ces musiques ont été retravaillées et arrangées par Simon-Pierre Bestion pour un ensemble instrumental très riche, incluant des cordes, des bois et des cuivres, mais aussi des instruments au timbre plus rare et lointain (duduk, accordéon, hélicon), et surtout des percussions (marimba, gongs).
Six chanteurs “classiques”, répartis en deux groupes sont situés, de part et d’autre, à la périphérie du dispositif instrumental, chantant des textes de prières ajoutés à la musique par Simon-Pierre Bestion, dans diverses langues (éthiopien, arabe, grec, latin et français). Conçus comme « des timbres à part entière de l’orchestre », ils interviennent collectivement, fusionnant avec la pâte orchestrale, déployant de concert les caractères variés venant éclairer le texte du récit, sans intentions sémantiques directes (les textes ne sont ni présentés dans le programme, ni traduits par un quelconque dispositif).
L’orchestre est déployé sur la scène, avec en premier plan, une narratrice (une « griotte » à sa manière) qui raconte les jeunes années de Camara Laye. Anne-Lise Heimburger, qui a elle-même réalisé la sélection des textes, est tout à son affaire, avec une diction parfaite, sachant mener son récit avec les moyens justes, des petits souvenirs d’enfance, aux moments d’émerveillement (la figure « magique » de la Mère, la fabrication du bijou en or), puis à ceux plus tragiques que la vie nous sert (la mort d’un compagnon cher), et enfin au déchirement du départ vers la France qui conclura le récit. La voix, de neutre, se fait intime, puis rayonnante, compatissante, exaltée puis véhémente.
Ce parcours d’émois qui jalonne le récit est non pas illustré, mais éclairé, manifesté par ces musiques, bien occidentales, mais irriguées d’ostinati (répétitions obstinées), de tremoli aux cordes et percussions lui conférant sa dimension africaine, et rituelle. Simon-Pierre Bestion sculpte ainsi le son de son ensemble, La Tempête, qui ne porta probablement jamais si bien son nom, sachant déployer toutes les nuances, du murmure intimiste au cataclysme.
Le récit est ponctué par trois interventions d’Ali Boulo Santo Cissoko, joueur de Kora virtuose et chanteur flamboyant, avec sa voix de "ténor" lumineuse, commençant toujours sur le mode de l’imprécation, puis parcourant divers modes expressifs, de la caresse vocale, à la mélopée lancinante. Le temps se suspend alors, dans une grâce poétique et nostalgique, pour favoriser plus encore le voyage auquel le public est invité, dans une Afrique « rêvée », car Camara est guinéen, Ali Cissoko sénégalais : les sources d’inspirations de Florentz sont nombreuses (rituels islamiques, chants du Togo, du Rwanda, du Burundi, du Kenya, de Guinée, etc.) et les très beaux vitraux de Marianne Pelcerf, qui définissent et ponctuent l’espace scénique, inspirés de la tradition iconographique chrétienne éthiopienne.
Tout cela foisonne et s’allie, pour conférer au récit du destin singulier de cet enfant, une portée universelle et humaniste, de bon aloi en ces temps de trouble.