Au salon de la Comtesse de la Suze à l’Opéra Comique
C’est sur un prélude de Marin Marais que s’ouvre ce charmant voyage au XVIIe siècle. L’heure du déjeuner sonne, ponctuée par les poèmes et chansons d’Henriette de Coligny, Comtesse de la Suze. Un choix de répertoire aussi rare qu’intéressant, où les musiques de Michel Lambert, Sébastien Le Camus ou Honoré d’Ambruys s’en vont orner les madrigaux écrits par la Comtesse.
Petite-fille de l’amiral Gaspard de Coligny (chef protestant assassiné durant le massacre de la Saint-Barthélemy), Henriette de Coligny choisit de monter à Paris (après l’échec de deux mariages, le premier, chose rare, d’amour et le second avec Gaspard de Champagne, Comte de la Suze). La poétesse s'adonne aux plaisirs des arts et fréquente l’intelligentsia de son époque, dont certaines figures de la littérature et des mœurs légères, influençant ses œuvres dont Boileau disait qu’elles étaient d’un agrément infini.
C’est par la musique de Le Camus que le public découvre le premier poème de la Comtesse, Je m’abandonne à vous, amoureux souvenir, empreint d’une longue nostalgie soulignée par les douceurs de la viole et les ornements de la harpe. Le choix des pièces et des compositeurs est varié (outre les grands noms de Marais, Lambert ou Le Camus, figurent également Bertrand de Bacilly ou Honoré d’Ambruys) et l’un des madrigaux (J’ai juré mille fois) est même chanté deux fois, la première version étant celle de Michel Lambert et la seconde de François Campion (présentée lors du bis). Ces pièces, faites pour être jouées et chantées dans les salons, dites issues de la musique de ruelle (l’espace entre le lit et le mur), touchent d’autant plus le public que l’espace du Foyer de la Salle Favart est restreint, invitant ainsi à l’intimité et offrant la proximité nécessaire pour apprécier la délicatesse et la simplicité de ces œuvres.
Marc Mauillon (au midi de sa dernière interprétation du rôle-titre d’Orfeo dans la grande salle), coutumier de l’époque baroque déploie sa voix expressive et claire, dévoile les galantes pastorales de la Comtesse de la Suze et vient souligner les aimables formes de la langue du XVIIe siècle. Son baryton mâtiné de ténor se plaît aux mouvements des notes et déploie un timbre riche en nuances, notamment lors de l’heureux Sous ces ombrages verts, chanté a cappella. La prononciation du français d’époque est également de mise et c’est avec plaisir que le spectateur se berce au charme de ces r roulés, des anciennes nasalisations à peine existantes et de la présence des s et des t finaux. Mais surtout, c’est la joie manifeste que Marc Mauillon prend à chanter ces airs qui égaie un public ravi d’être au rendez-vous.
Le soliste est accompagné à la viole de gambe par Myriam Rignol (collaboratrice pour différents ensembles, notamment Le Poème Harmonique ou Les Arts Florissants). Le spectateur est transporté par les mouvements de l’archet qui danse sur les cordes de ce bel instrument baroque, en particulier lors d’un solo où la gambiste joue un Prélude de Demachy, qui est un déploiement de souplesse, de dextérité et surtout, de finesse. Ce concert fait ainsi la part belle à tous les instruments, dans leurs échanges et par des morceaux leur laissant un moment privilégié sur scène.
Angélique Mauillon à la harpe, glisse avec une admirable légèreté sur ces notes baroques. Comme elle-même le raconte au public, les partitions pour harpe sont rares à l’époque, bien que l’on connaisse déjà l’existence de cet instrument né à Naples et, dans ces œuvres, son jeu consiste à servir de basse continue d’une main et à improviser des ornementations de l’autre –aucun concert ne se ressemble donc, explique la harpiste qui entame alors avec grande délicatesse une sarabande de Dufaut.
Le concert est de surcroît parsemé de petites leçons d’histoire de la musique où, après avoir transmis au public l’heur de ses retrouvailles (interrompues au début par les applaudissements du public), Marc Mauillon décrit la vie orageuse de la Comtesse de la Suze, en soulignant notamment son renom, à l’époque (c’est d’ailleurs l’une des premières femmes à signer ses poèmes) et rappelant le mot de Bertrand de Bacilly (dont il chante l’air Dans ce bocage), qui se proclamait poète composant le mieux pour la musique. Pour finir, alors que résonnent les applaudissements d’un public convaincu, le chanteur rappelle qu’il sera possible d’entendre ces airs dans un album du même trio qui sort ce 11 juin.
Le concert s’achève sur un petit bis joyeux et une dernière fois, les madrigaux d’Henriette de Coligny résonnent dans le foyer de la salle Favart, alors baignée de soleil en ce beau début d’après-midi marqué par la musique.