En Avignon, l’union fait la force lyrique et solidaire
Né au lendemain du drame de la rue d’Aubagne à Marseille, où huit personnes avaient perdu la vie dans l’effondrement d’immeubles insalubres, le Collectif des artistes lyriques et musiciens pour la solidarité, ou CALMS, organise depuis trois ans des concerts à portée caritative et humanitaire dans toute la France. En ce début du mois de juin, c’est Avignon qui l’accueille (toujours sous la halle éphémère de la salle Confluence, le Covid ayant reporté la réouverture de l'opéra du centre-ville à la rentrée prochaine), pour un concert visant cette fois-ci à soutenir des associations d’aide aux victimes de violences conjugales. Une cause défendue en musique, et devant une salle de 300 personnes (jauge sanitaire de 35% oblige) par plus d’une trentaine d’artistes lyriques aux carrières naissantes ou déjà bien lancées.
Des festivités lancées avec le fameux quintette (“Hmm, hmm...”) de La Flûte enchantée de Mozart, où se dévoilent d’emblée de bien jolies voix. Celle de la soprano Sabrina Kilouli, timbre clair et intonations joliment colorées, celle de la mezzo Muriel Tomao, à la voix ample et sonore, ou encore celle de Christine Craipeau, au mezzo agréablement vibré et riche d’une belle rondeur d’émission. Dima Voronov, en Papageno, use lui d’une voix de baryton certes encore juvénile mais déjà pleine d’assurance et de sonorité, quand Hugo Tranchant déploie une voix plus légèrement timbrée, qui trouve surtout ses aises dans le medium. Place ensuite à Haendel et Alcina (trio “Non e amor, né gelosia”), où vient à briller l’une des grandes étoiles de cette soirée : la mezzo Éléonore Pancrazi, en Ruggiero, ici brillante de facilité dans la projection d’une voix lumineuse et idéalement vibrée sur toute l’amplitude de la tessiture. Mention spéciale aussi pour Alcina portée par Mathilde Lemaire avec sa voix au timbre clair et à l’agréable fraîcheur d’émission. Le Bradamante de Rémy Bres est tout aussi joliment incarné, le jeune artiste mettant là en lumière une voix de contre-ténor à la technique affirmée et à la belle amplitude sonore.
Vient ensuite Mozart à nouveau, avec Don Giovanni cette fois, et le sextuor “Sola, sola in buio loco”. Là encore, de bien jolies performances sont à relever, telle la Donna Anna de Jennifer Michel, avec son timbre pur et sa puissance d’émission agrémentés d’un investissement remarqué dans la gestuelle scénique. France Dariz s’illustre, elle aussi, avec sa voix puissante émise avec vigueur. Eve Coquart use d’un soprano plus léger, aux intonations fleuries, qui fait aussi mouche dans son style. Aux côtés d’un Hugo Tranchant fort investi tant dans l’interprétation vocale (quitte à pousser un peu trop quelques aigus) que scénique, Florent Leroux-Roche, dans le rôle-titre, est un baryton qui irradie d’emblée tant par son charisme scénique que par sa voix pleine de profondeur et de chaleur de timbre. À ses côtés, Dima Voronov ne dépareille pas, tant sa voix est pénétrante elle aussi.
Une Carmen solaire, un impeccable Nemorino
Place à Carmen, ensuite, pour la continuation de ce réjouissant défilé d’artistes. Carmen campée par une Héloïse Mas dont la voix aimante l’oreille par sa profondeur d’émission autant que par son homogénéité et son incessante vigueur d’émission. Quelle fervente présence scénique, en outre. De leurs voix pleines de relief et d’amplitude, riches d’un puissant vibrato, la soprano Barbara Bourdarel et la mezzo Marine Chagnon, sont de remarquées Frasquita et Mercedes. Par ailleurs maître de cérémonie (et fondateur du Calms), Mikhaël Piccone est un Dancaïre de fort bonne facture, avec son timbre clair et incisif, nanti d’une belle ardeur d’émission. À ses côtés, Hugo Tranchant est un Remendado tout aussi énergique et impliqué. Arrive ensuite Verdi, avec le fameux trio du Trouvère, “Di geloso amor”. Là, en Leonora, Fabienne Conrad (ovationnée dans ce même air l’été dernier à Orange pour la dixième édition de Musiques en Fête) est en tous points lumineuse : timbre pur et brillant, longueur de souffle, aigus éclatants. De son timbre non moins pénétrant, mais dans un autre registre, et avec son charisme naturel, le baryton Kristian Paul offre au rôle de Luna tout ce qu’il faut de gravité et d’ardeur vocale, avec qui plus est une remarquable qualité de diction. Quant au ténor Philippe Do, il est un vaillant Manrico, avec une ligne de chant homogène et une voix pleine d’épaisseur émise avec vaillance, notamment vers l’aigu.
C’est ensuite avec une bouillonnante Chevauchée des Walkyries que se poursuit le concert. De nouvelles voix s’y dévoilent. Telle celle de la mezzo Marie Pons, richement timbrée et d’une belle amplitude sonore, avec des graves d’une exquise ardeur. La mezzo Pauline DesCamps s’illustre elle par l’emploi d’une voix aux traits encore juvénile mais au timbre déjà fort expressif et riche de couleurs. En Giuletta des Contes d’Hoffmann (Barcarolle), une autre valeur sûre de la scène lyrique en vient à son tour à s’illustrer : Ludivine Gombert, avec sa voix charnue émise avec aisance, et dont l’emploi est tissé sur le fil d’une ligne de chant riche de souffle. À ses côtés, en Nicklausse d’un soir, le mezzo de Valentine Lemercier se met joliment en valeur, avec une belle rondeur d’émission et un vibrato.
Arrivent ensuite quelques-uns des airs les plus fameux de cette soirée de gala, dont le quatuor de L'Élixir d'amour, “Adina Credimi”, où scintille le ténor solaire et puissant d’un Bruno Robba absolument impeccable dans les traits de Nemorino implorant la belle Adina de la soprano Charlotte Bonnet, qui vise juste en termes de justesse et de couleurs vocales, et qui sait aussi se rendre touchante par un jeu scénique oscillant entre candeur et passion débridée. Aux côtés du Belcore malicieux et joliment sonore de Mikhael Piccone, Chani Bauza est une agréable Giannetta, avec un timbre clair et un medium pour le moins robuste. Le programme en revenant à Mozart et à son Cosi fan tutte (“Soave sia il vento”), c’est ensuite au tour de Cecilia Arbel de mettre en lumière un soprano fruité au timbre pur et expressif, nanti qui plus est d’un agréable vibrato. À ses côtés, Éléonore Pancrazi et Florent Leroux-Roche restent constants dans l’irréprochable qualité de leurs prestations sonores et scéniques. Il en va de même pour Bruno Robba (formidable Rodolfo) et Fabienne Conrad dans l’air de La Bohème (“Dunque e proprio finita”), où Amélie Robins campe une notable Musetta, portée ici par une remarquable amplitude sonore et un certain charisme scénique, aussi. Enfin, que d’intensité, encore, dans le duo final de Carmen ici interprété avec toute la force dramatique requise. Don José y est campé par un habitué du rôle, le ténor Philippe Do, qui use avec fougue et générosité d’une voix puissante et robuste. Héloïse Mas, elle aussi coutumière du rôle principal, incarne de son côté une Carmen de fougue et de feu, avec une remarquable largeur d’ambitus et une projection polie par une épatante force expressive.
Un festival de réjouissantes performances, donc, ici et là accompagnées par le très homogène chœur du Calms (composé de l’ensemble des artistes défilant sur scène), et par des pianistes aux performances remarquées car remarquables : Anne Guidi, Frédéric Isoletta, Astrid Marc, Vladik Polionov, Ludovic Selmi et Maria Tomilova. Comme l’ensemble des artistes présents en cette soirée d'exception (où 3.900€ auront finalement été récoltés), ils concluent les festivités en chanson et sur un envoûtant rythme à trois temps, avec “C’est l’Amour”, fameux extrait des Saltimbanques de Louis Ganne. “C’est l’amour, qui rend chaque jour la gaieté”, y est-il chanté. C’est l’amour, et ce sont aussi, assurément, ces soirées d’un feu d’artifice lyrique saluées en l’occurrence par des applaudissements nourris.
À noter que ce spectacle sera aussi donné le 12 juin au Théâtre Silvain de Marseille, le 15 juin à l’Opera de Massy, et le 22 juin à l'Opéra de Nice (avec quelques autres solistes).