Intime Étoile : Elīna Garanča à Auvers-sur-Oise
La chance est ainsi offerte d'écouter la voix d'Elīna Garanča, dans une acoustique sans réverbération excessive, qui s'offre un généreux parcours dans des répertoires qu’elle connait bien ou qu’elle a travaillés récemment. Elle passe ainsi de l’intimité des Lieder de Schumann ou de Brahms (correspondant au dernier CD de la chanteuse) à l’hédonisme assumé de la zarzuela que complètent Carmen et Dalila. Au piano, Maciej Pikulski soutient la voix et sait accompagner les élans des phrases de la chanteuse. Il montre par ailleurs qu’il partage avec la mezzo les mêmes qualités de timbres et de pure beauté sonore : les transcriptions de Liszt (de Ständchen de Schubert puis du quatuor de Rigoletto), qui viennent ponctuer le récital, impressionnent par leur aisance et leur musicalité.
Dès les premières notes de Frauenliebe und leben (L'Amour et la vie d'une femme, cycle de Schumann) la voix expose tous ses atouts : elle est sonore sur toute la tessiture, avec un grave poitriné charnu et un aigu percutant, le timbre en est rond et enveloppant, profondément séduisant. Seules quelques notes de passage sur le bas du registre aigu sonnent parfois un peu creux. La technique de la mezzo-soprano a aussi ses effets secondaires : des notes parfois attaquées par-dessous, des sons qui ne vibrent pas immédiatement mais ces détails ne gênent pas la voix qui est libre et capable de moduler.
Il n’est pas si facile avec ce matériel imposant de se couler dans les méandres poétiques du cycle de Schumann. La chanteuse s’y emploie avec sobriété, privilégiant les mots à la voix, animant les vers de quelques gestes simples qui anticipent parfois ce qui va se dire dans le poème suivant. Cette réserve se traduit dans la voix : ce n’est que sur certaines voyelles plus ouvertes ou certains forte que se déploient les ressources impressionnantes de l’instrument. Une interprétation grave et concentrée qui convient tout à fait à l’ultime Lied "Nun hast du mir den ersten Schmerz" (Tu m'as blessé pour la première fois) et sans doute moins au plus léger "An meine Herzen, an meiner Brust" (Sur mon cœur, sur mon sein), un peu dur et dont certaines voyelles perdent en définition. Les quatre Brahms qui suivent contrastent par leur dramatisme : l’écriture des sentiments, moins ambiguë que dans le cycle de Schumann, paraît donner une plus grande liberté à la voix et à l’interprète. C’est le cas pour "Die Mainacht" (La nuit de mai), tourmenté et sombre, ou encore "Von ewiger liebe" (D'un amour éternel) qui touche par son lyrisme généreux et dont les dernières notes font se lever un public enthousiaste.
Délaissant sa robe rose et sobre du début, la chanteuse revient en noir et or pour une deuxième partie sous le signe de la sensualité. Elīna Garanča connait bien la Zarzuela qu’elle chante depuis longtemps et dont elle maîtrise les effets. Les extraits qu’elle en donne (composés par Babier, Chapi et Luna) la montrent à son aise, charmant le public avec ce qu’il faut de second degré pour donner un peu de piquant à cette musique. "De España vengo" (El niño judío) permet ainsi à la voix de démontrer toutes ses possibilités : piani, sons enflés, graves sonores. Un numéro vocal et scénique bien rôdé qu’elle termine poings sur les hanches "à l’espagnole", de manière un peu prévisible mais que le public apprécie.
De l’expérience, la chanteuse en a aussi dans le répertoire français comme le prouvent "Mon cœur s’ouvre à ta voix" (Samson et Dalila) et la Habanera (Carmen), deux rôles qu’elle a chantés à de nombreuses reprises sur scène. Cependant, loin d’être routinière, l’interprétation marque par le soin apporté aux mots et au phrasé. Des personnages apparaissent portés par la qualité de la voix et clairement dessinés : une Dalila au désir puissant et une Carmen jeune, intelligente et insolente. Peut-être le meilleur moment de la soirée car tout semble s’aligner : la voix généreuse, le tempérament et l’imagination scénique. Ce sont ces mêmes qualités de comédienne qui se retrouvent dans les bis avec la Séguédille (Carmen) et "Voi lo sapete" (Cavalleria Rusticana) auxquels s'ajoute "O mio Babbino Caro" (Gianni Schicchi). Ils terminent un généreux programme sans que l’artiste ne paraisse éprouver la moindre fatigue, comblant un public enthousiaste.