L’intimité du Lied par Matthias Goerne à l’Opéra du Rhin
Sur scène, au centre, un piano à queue noir Steinway&Sons, ouvert et orienté classiquement avec le clavier côté jardin. Un pupitre au milieu de ce piano, l’atmosphère est à l’attente. Le public, calme, est probablement déjà un peu admirateur de Matthias Goerne, ou du moins curieux de sa réputation. Après l’annonce sanitaire de rigueur en voix off, des chuchotements discrets d’un public se font entendre. L’arrivée à bâbord du baryton se fait d’un pas franc, accompagné du pianiste Alexander Schmalcz, déjà connu pour avoir collaboré avec lui, notamment lors de l’élaboration du disque autour des Lieder de Schubert en 2011. Et puis, il y a aussi cette discrète personne qui tourne les pages du pianiste, sans bruit, et sans erreur.
Car il y a dans ce récital un travail autour de la perfection qui démarre dès que l’éclairage d’arrière-scène passe du vert au bleu. Et c’est de ce bleu que résonnent les premières notes des Lieder d’Hans Pfitzner, créant une immersion dans un monde aussi sombre que la couleur. Par un vibrato très ample dans le registre grave et medium, le public découvre dans la Sehnsucht d’Hans Pfitzner la voix plutôt généreuse d’un Matthias Goerne concentré autour du texte, lunettes de vue noires sur son nez. Ce même vibrato, rendant difficile la compréhension des consonnes, se montre heureusement plus doux sur le registre aigu, puis après une dizaine de minutes, plus précis enfin dans le registre médium-grave.
Se montrant plus incisif, Matthias Goerne, s’appuyant par la main droite sur le piano, comme s’appuyant à la barre du navire, emplit la salle d’un premier forte tel le déferlement de la vague que le Lied Wasserfahrt décrit. Et c’est à ce moment-là que le public peut comprendre combien le caractère de la musique suivra le caractère du texte, à la manière d’une forme de Mickey Mousing, nostalgie dans Abendrot de Pfitzner, ambiance sereine dans Freundliche Vision de Richard Strauss.
Côté équilibre, le public retrouve une voix dont le grave s’équilibre très bien avec le registre aigu en volume et justesse. Le baryton, qui a eu 54 ans cette année, ne perd pas de son grain de voix ni de la projection de celle-ci, et pas davantage de son aisance vocale. Les bémols ne viennent que de la forme même du récital, très sérieuse, intimiste, et statique dans l’espace, comme une musique de chambre.
L’équilibre en volume sonore et caractère est également présent du côté de l’accompagnement avec le pianiste Alexander Schmalcz. Les longues introductions et codas (conclusions) dans les Lieder de Wagner, mais surtout de Richard Strauss transmettent leur caractère au baryton, ce qui aurait cependant donné une meilleure impression encore si le piano avait eu une sonorité moins feutrée et raisonnante. Fort heureusement, le pianiste pose très précisément les accords et les figures, de sorte que le duo ne forme qu'un.
Côté stratégie de programme, commencer par huit Lieder d’Hans Pfitzner permet sans doute à Matthias Goerne de faire mieux comprendre la couleur obscure des auteurs mis en musique (Liliencron, Lienhard, Heinrich Heine, Richard Volkmann, Stach-Lerner, Eichendorff, Busse). Dans cette intimité, le public gardera tout au long du programme une hésitation méditative à l’applaudissement entre chaque série de Lieder. Le choix de Wagner en deuxième partie crée un contraste étonnant et forme un canal assez naturel qui le relie, par la richesse de l’harmonie à l’audacieux Richard Strauss. Peut-être regrettable pour un récital cependant, le choix artistique laisse peu de place à la diversité de caractères : il y a en effet une forme d’homogénéité des sujets et une technique vocale qui privilégie nettement la longue mélodie et la performance liée à la justesse des sons et des tons.
D’une thématique à l’autre, dans l’immersion, sans explication de texte ni de présentation des Lieder, le public n’entendra que la voix de Matthias Goerne par son chant. Et c’est ainsi que la star du genre s’abandonne, au profit de ce programme de Lieder qu’il promeut également via la sortie de son dernier disque publié chez Deutsche Grammophon (Im Abendrot).
Les convaincus du duo Schmalcz/Goerne pourront prendre date et les retrouver le 2 juin au Capitole de Toulouse lors d’un récital de La Belle Meunière de Franz Schubert.