Les Chandos Anthems de Haendel pour la réouverture de la Chapelle Royale de Versailles
Si le soleil n’est pas au rendez-vous pour que ses rayons puissent traverser de tout leur éclat les grandes vitres de la Chapelle Royale de Versailles, immaculées et débarrassées de l’échafaudage qui les séparait du public, sa puissante lumière pénètre dans ce joyau baroque, se réfléchissant sur les colonnes blanches et les dorures qui les ornent. Pour célébrer le retour du public, Château de Versailles Spectacles invite l'organiste Gaétan Jarry et son ensemble Marguerite Louise pour interpréter trois Chandos Anthems, corpus de psaumes dans lesquels Georg Friedrich Haendel (1685-1759) démontre son génie d’assimilation de tous les styles européens, annonçant ses prochains grands oratorios. Ce soir, les trois œuvres choisies parmi les onze formant le corpus ont la particularité d’être écrites pour trois voix et trois parties de cordes, plus précisément sans altos.
Pour commencer le concert, Gaétan Jarry se met d’abord à l’orgue de la Chapelle, sur la tribune surplombant le chœur, comme pour inviter l’auditeur à une écoute religieuse, les antiennes étant effectivement destinées aux services religieux de la cour de James Brydges, premier Comte de Carnarvon et Duc de Chandos, l'un des généreux mécènes de Haendel. Ce dernier était un excellent organiste et il ne fait aucun doute qu’il aurait lui-même introduit au clavier ses œuvres, dont Gaétan Jarry imite l’agilité et un certain goût pour le théâtre en jonglant avec les différents jeux de l’orgue (jouant ainsi avec les différents timbres de l’instrument). Le son tourne certes facilement dans l’édifice mais le toucher de l’organiste s’adapte et gagne en diction comme l’oreille de l’auditeur dont la compréhension du discours musical gagne rapidement en clarté. Le temps qu’il descende rejoindre son ensemble, la basse Virgile Ancely emplit la Chapelle, depuis la tribune, de sa voix aux graves appuyés avec un court chant a cappella de liturgie anglicane qui rappelle le chant grégorien.
Si la voix de Virgile Ancely semble très bien convenir à ces courts chants a cappella, elle manque toutefois de timbre pour les anthems. Ses phrasés présentent assurément une certaine tendresse mais il leur manque comme une assurance dans la conduite pour pleinement convaincre. À ses côtés, la soprano Florie Valiquette ne semble tout d’abord pas, dans l’anthem I (O be joyful in the Lord), profiter du registre dans lequel sa voix peut vraiment s’épanouir, ses graves ayant du mal à bien se faire entendre. Elle peut davantage montrer la rondeur de son timbre et la finesse de ses phrasés avec l’œuvre suivante, anthem IV (O sing unto the Lord a new song!). Mais c’est lors de son air Tears are my daily food de l’anthem VI qu’elle convainc pleinement et même captive par son interprétation, suppliante sans tomber dans la démonstration superflue, avec notamment une belle maitrise de souffle. Elle partage avec le ténor Nicholas Scott deux interventions en duo : dans l’anthem IV (Worship the Lord), leurs timbres semblent assez contrastés, la première faisant entendre une voix ronde et des vocalises souples, celle du second étant plus franche mais aux ornements parfois plus brusques. Leur duo de l’anthem VI (Why so full of grief) se montre bien plus équilibré, avec une double présence assez touchante. Lors de ses interventions en solo, Nicholas Scott expose une voix brillante, homogène et puissante avec aisance. Si son souffle paraît d’abord un peu court, il montre rapidement qu’il s’agit d’un premier choix d’interprétation, servant avant tout l’expressivité de son chant. Son travail de la langue est attentif et patent, le texte toujours limpide et avec une prononciation de l’anglais du XVIIIe siècle (qui pourrait inspirer ses camarades).
Les Chandos Anthems ne seraient pas aussi saisissants s’ils ne laissaient une place de choix au chœur. Les quatorze artistes de chœur de l’ensemble Marguerite Louise font preuve d’une grande homogénéité qui garde néanmoins la grande clarté des différentes parties (plus que nécessaire pour apprécier les nombreuses parties fuguées, si chères à Haendel et dont l’écriture est si bien maitrisée). Le pupitre des ténors déploie un timbre particulièrement étincelant. Tout comme l’orchestre, sous la direction engagée (bondissante même !) de Gaétan Jarry, parfois souple ou sèche, toujours ample et souvent souriante, le chœur déploie une palette de couleurs riche et toujours bien amenée, au service de l’expressivité. Si parfois ces couleurs se font brusques, c’est pour mieux surprendre en éclat, tels les splendides « Glory » de l’anthem I, contrastant avec la puissance et la douceur des « Amen » qui terminent en majesté cette même antienne. Tout aussi remarquées sont les prestations du hautboïste Neven Lesage et du premier violon solo Emmanuel Resche, au grain de son avec un soupçon d’acidité bienvenue, et à la virtuosité engagée. L’ensemble des musiciens se réjouit visiblement, notamment quand la musique emporte tout comme la mer retentissante dans le final de l’anthem IV.
C’est avec les deux numéros finaux du premier anthem, qui chantent avec puissance la gloire de la Trinité et se terminent sur un majestueux « Amen », que les musiciens saluent en bis et une dernière fois le public, heureux de pouvoir enfin se retrouver en la rayonnante Chapelle Royale.