Charlotte de Massenet à l'Opéra de Montpellier
Cette production de Werther (voir notre compte-rendu à l'Opéra national de Lorraine) jouant sur la sobriété et l’émotion avait été récompensée par l’attribution du Prix Claude Rostand par le Syndicat professionnel de la critique. Ce spectacle marque donc la réouverture de la saison à l’Opéra national de Montpellier avec une jauge du public fixée à 350 personnes. Pour autant, les applaudissements nourris et enthousiastes qui retentissent en fin de représentation font croire à une occupation complète du théâtre tant ils marquent le bonheur des spectateurs de renouer ainsi avec le spectacle vivant.
Bruno Ravella, dont la mise en scène se trouve ici reprise avec une totale acuité par José Dario Innella, privilégie l’évocation de la nature et le tempérament pleinement romantique du personnage de Werther, ce sans aucune pesanteur. Les caractères sont affirmés, les déplacements précis et justifiés, même si les conséquences de la pandémie actuelle ne permettent pas le rapprochement effectif des personnages notamment à l’acte IV, voyant la mort de Werther. Mais José Dario Innella franchit ce dernier obstacle en accentuant avec intelligence les regards ou la gestuelle. Les décors et les superbes costumes créés par Leslie Travers, les lumières irradiantes de Linus Fellbom, donnent toute sa saveur à cette approche esthétique de l’ouvrage.
Après Carmen et Dalila et avec l'appui d'une double décennie de métier, Marie-Nicole Lemieux souhaitait ardemment ajouter Charlotte à son répertoire lyrique français. Bien lui en a pris d’attendre des accents de cette maturité : outre sa composition évolutive du personnage, de la jeune fille troublée à la femme intensément éprise, elle se livre sans réserve à la scène, abordant le terrible troisième acte avec une gravité, une sincérité dans l’expression du sentiment totales. Sa voix de contralto répond à toutes les exigences de la partition, avec moelleux et générosité, autorité sur la ligne de chant et un ensemble de contrastes qui atteignent aisément le cœur de l’auditeur. Sa prestation s’avère bouleversante de bout en bout et même quelques aigus un rien tirés ajoutent plutôt à l'expressivité de la prestation d’ensemble en conférant à Charlotte une part de fragilité.
À ses côtés, le ténor guatémaltèque Mario Chang, vainqueur du concours Operalia 2014, affirme une certaine solidité et des moyens réels qui pour autant demandent à s’incarner. De clairs efforts ont été réalisés sur la langue française, mais un certain chemin reste à parcourir pour pleinement convaincre. La voix peine à se libérer dans l’aigu et il convient d’assouplir une ligne de chant encore trop rigide. L’artiste malgré sa sincérité évidente, ne parvient qu’à donner une vision partielle de Werther.
Rien de tel pour Jérôme Boutillier qui incarne un Albert de haute tenue, d’une facilité vocale qui augure de grands rôles à venir. La voix résonne avec plénitude sur toute son étendue, ardente et au timbre fort séduisant. Le baryton impulse à son personnage l’humanité et la profondeur qui conviennent.
Pauline Texier campe une radieuse Sophie, à la fois espiègle et déjà plus réfléchie lors de sa visite chez Charlotte au troisième acte. La joliesse de la voix, sa facilité dans l’aigu, la fraîcheur du timbre s’harmonisent au mieux avec la voix grave de Marie-Nicole Lemieux.
Pour sa part, Julien Véronèse donne au bailli le relief qui lui convient avec ses joyeuses faiblesses culinaires et son amour éperdu pour ses enfants. Sa voix de baryton-basse chantante très caractérisée marque par sa solidité, sa générosité.
Deux jeunes et talentueux chanteurs incarnent les comparses du Bailli : Yoann Le Lan (Schmidt) dont la voix claire et haute passe sans peine la rampe, et Matthias Jacquot (Johann), basse déjà bien affirmée.
Déjà présent à Nancy, Jean-Marie Zeitouni se retrouve à Montpellier au milieu du dispositif instrumental réparti entre la fosse et l’orchestre vidé de ses fauteuils. Placé à la tête de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, il délivre une lecture passionnante de la musique de Werther, emplie de contrastes, dynamique ou plus retenue comme à l’air des larmes de Charlotte. Cette configuration particulière au sein d’un théâtre à l’italienne ouvert en 1888 vient comme envelopper l’auditeur et semble comme l’inclure au sein même du drame exposé : une belle et émouvante expérience !