Seules dans la Nuit, L'Instant Lyrique confiné de l'Éléphant Paname
Étrange atmosphère de ce concert donné en direct depuis l'Éléphant Paname : Sandrine Piau, Susan Manoff et Chloé Briot évoluent devant une salle vide, à distance les unes des autres, sans applaudissement. Conditions délicates pour faire exister un récital composé uniquement de mélodies, pour adresser ces textes à une audience imaginaire cachée derrière une caméra, pour créer une atmosphère sans la participation silencieuse du public. Durant une heure, Sandrine Piau et Susan Manoff tentent de relever le défi avec également Chloé Briot qui intervient pour quelques mélodies dans le cadre du programme Momentum (qui invitait Cyrielle Ndjiki Nya au précédent Instant Lyrique et à la Master-Classe de Karine Deshayes pour Tous à l'Opéra et le World Opera Day). Durant ce parcours rêveur et plutôt mélancolique, qui évoque de loin la nuit, s'alternent des mélodies de Chausson, Fauré, Poulenc mais également de Barber, Wolf, Schumann ou encore Strauss.
Sandrine Piau n'est heureusement pas seule : Susan Manoff au piano la suit, l'attend, la relance et le contact entre les deux musiciennes fait une grande partie du charme de la soirée. Malgré certaines tensions du visage et du cou que la proximité de la caméra ne flatte pas, la voix de la soprano a toujours une belle couleur argentée, jeune et lumineuse. Elle sert ce répertoire avec ce qu'elle peut offrir : de la poésie à défaut d'éclats plus lyriques qui peuvent manquer un peu, par exemple dans les tourments du Temps des Lilas de Chausson. Hébé, du même compositeur, ouvre pourtant le concert et l'installe dans une mélancolie douce, servie par cette voix fluide et délicate. Ce charme un peu évanescent se retrouve dans les pièces suivantes, notamment dans un Clair de lune de Fauré, teinté de dérision. Le texte se perd un peu sur le haut de la tessiture mais l'attention aux situation est toujours présente, soulignée par quelques gestes sobres des bras et des mains. Ainsi dans Les Berceaux, ces mains font-elles exister le port qui disparaît au loin dans la mélodie de Fauré, peut-être un des plus beaux moments de la soirée.
Car il semble -peut-être la situation en est la cause- que ce soit dans les mélodies les plus narratives que le charme opère réellement. Les Poulenc qui terminent le programme (Orkenise, Hôtel, Fagnes de Wallonie, Voyage à Paris, Sanglot) sont souvent difficiles à défendre car il s'agit de petites scènes aux textes fantasques ou clairement surréalistes. Ils sont ici habités par la chanteuse qui donne du poids et de l'émotion aux mots d'Apollinaire ou de Louise de Vilmorin. L'aspect dramatique et théâtral permet à la voix de prendre d'autres couleurs, osant davantage d'accents et de reliefs, toujours en dialogue avec le piano de Susan Manoff. Le spectateur voudrait applaudir, il le fait de loin et dans le chat en direct.
Le timbre plus large et plus sombre de Chloé Briot donne de l'épaisseur Après un rêve même si le souffle est un peu instable et si le medium paraît hésiter entre deux registres. La voix prend de l'assurance dans le duo In der Nacht de Schumann et dans C'est ainsi que tu es de Poulenc, la présence de la chanteuse et son attention aux mots touchent et séduisent.
Cet Instant Lyrique se termine par des saluts au son des seuls applaudissements de Richard Plaza, Directeur artistique de l'Eléphant Paname. Un duo de Chausson, La Nuit, vient célébrer les plaisirs nocturnes que nous ne retrouverons pas de sitôt. Raison de plus d'être reconnaissant aux artistes et aux programmateurs de prendre des risques et des initiatives pour que, en attendant, la musique continue à vivre.