Harawi de Messiaen, chant d’amour et de mort par La Grande Fugue
Composé par Olivier Messiaen en 1945, le cycle vocal Harawi pour soprano et piano s’inscrit au sein de la Trilogie de Tristan, tel que dénommée par le compositeur lui-même. Messiaen souffrait alors beaucoup de la dégradation de la santé de sa première femme, Claire Delbos. Sans pour autant lui dédier le cycle, il choisit de lui offrir par ce bais une magnifique déclaration d’amour. Cette Trilogie se compose, outre Harawi, de la tentaculaire Turangalîla-symphonie et des Cinq Rechants datés pour leur part de 1948. Olivier Messiaen qui a étudié les légendes et la musique folklorique péruvienne, s’en inspire grandement ici. Et comme souvent pour le compositeur-ornithologue, le chant des oiseaux intervient au sein de cette œuvre. Sur ces bases, il compose un cycle mélodique d’une rare exigence pour les interprètes, d’une durée d’une heure environ et constitué de 12 chants évolutifs. Ces derniers jusqu’au numéro 7 reflètent le parcours amoureux partagé et exalté que la mort de l’amant vient interrompre. Les cinq derniers, presque surréalistes, décrivent les délires et la douleur de l’amante. Auteur des poèmes, Olivier Messiaen y intègre des onomatopées répétitives dans un dialecte quechua complexe et mystérieux. La tessiture requise, tant pianistique que vocale, place délibérément haut les ambitions du compositeur. Harawi fut créé à Bruxelles en juin 1946 avec Messiaen au piano et Marcelle Bunlet, soprano dramatique d’envergure, cantatrice préférée du compositeur. Le concert organisé par la Grande Fugue au studio Raspail -ancien cinéma d’art et d’essai à l’excellente acoustique-, confirme en premier lieu les vastes qualités pianistiques d’Emmanuel Olivier. Ce dernier, par ailleurs chef d’orchestre et de chant, professe en classe d’accompagnement vocal 2ème cycle auprès d’Anne Le Bozec au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Avec une sûreté absolue et une précision millimétrique, mais aussi avec une conviction pleine de chaleur, Emmanuel Olivier se joue des multiples difficultés accumulées au sein de la partition. Il porte par ailleurs une attention de tous les instants à sa partenaire, la soprano Héloïse Koempgen. Cette dernière se lance dans l’aventure avec la conviction chevillée au corps. La voix est large, le soutien assez ferme, l’aigu ancré et épanoui, la prononciation modèle. Cette voix, plus résolument lyrique que dramatique, aux belles envolées, se heurte toutefois aux écarts exigés, non dans la partie haute de la voix, mais plutôt dans ses résonances graves plus sourdes et au niveau du médium moins épanoui. Mais la prestation d’Héloïse Koempgen force le respect par le tempérament démontré par cette artiste et l’expressivité dont elle fait constamment preuve.
Alain Patiès a élaboré une mise en scène équilibrée à mi-chemin entre le statique et le mouvement, la cantatrice se déplaçant entre certains morceaux ou esquissant un pas de danse un rien appuyé cependant. Pour habiller le tout, Jean Didier Tiberghien aux lumières projette des vidéos consacrées tant à la nature qu’au milieu urbain.