Intimes et intenses Leçons de Ténèbres de Couperin par Les Arts Florissants à Ambronay
Sans
aucun discours, William Christie monte sur la scène de l’abbatiale
d’Ambronay, s’assit devant le petit orgue positif et,
immédiatement, plonge les auditeurs dans une atmosphère de
recueillement. Invité régulier du Festival d’Ambronay, le chef
franco-américain est venu accompagné seulement d'une basse de
viole et deux sopranos. Une occasion idéale d’entendre les
chefs-d’œuvre de François Couperin (1668-1733) : ses trois
Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint, composées pour
les liturgies nocturnes de la semaine sainte de 1714 à l'abbaye de
Longchamp.
Lors de cette édition « Explorations » du Festival d’Ambronay, la scène de l’abbatiale est disposée de façon bi-frontale, le public étant à la fois dans la nef et le chœur. Les artistes sont ainsi de profil, la soliste chantant face à l’organiste qui est aux côtés de la violiste. La musique gagne alors une intimité incroyable, le spectateur ne pouvant qu’être témoin des échanges de regards et d’émotions entre les musiciens, intimité parfaite pour interpréter ces mises en musique des Lamentations du prophète Jérémie. Acoustiquement, cette disposition se montre tout aussi seyante pour ce répertoire.
La voix angélique, claire et fraîche, de la soprano Gwendoline Blondeel résonne alors sous les voûtes de l’abbatiale, pour la première leçon. L'oreille ne perd néanmoins aucune de ses paroles, grâce à une diction soignée. Si ses aigus possèdent finesse et pureté, ses graves ont un petit grain qui leur donne une assise sans excès. Grâce à sa présence scénique, aux mains proches de son cœur, l’auditeur reste à chaque instant attentif aux émotions de ses magnifiques plaintes, comprenant tout même en l’absence de livret.
La soprano Rachel Redmond prend à son tour sa place sur scène pour la deuxième leçon, avec son timbre tendre, délicat, presque maternel. Ses mains accompagnent le dessin de ses lignes vocales souples, avec une certaine volupté. « Peccatum peccavit Jerusalem » est notamment l’occasion d’apprécier des vocalises agiles et étirées. Les deux chanteuses se rejoignent pour la troisième leçon, dans laquelle leurs voix et leurs émotions, différentes et complémentaires, se mêlent en moments intenses, qu’ils soient doux ou forts.
Cette soirée n’aurait pu atteindre de tels sommets sans les respirations musicales, transitions entre chaque leçon, offertes par la violiste Myriam Rignol. Son instrument apporte juste l’assise et la chaleur qui manquent au timbre du petit orgue, toute la beauté de ses cordes se laisse transporter par l’architecture de l’abbatiale. La direction des phrasés, intelligente et sensible, sait mettre en valeur chaque partie mélodique, avec des intentions touchantes à l'extrême, sans porter pour autant atteinte à la compréhension des passages les plus ornés. La Chaconne en ré de Jean de Sainte Colombe (ca.1640-ca.1701) est un passage hors du temps.
Malgré un tel moment de religiosité musicale, le public ne peut taire son enthousiasme et demande avec insistance un bis. L’ensemble offre alors de nouveau « Jerusalem, convertere » de la Troisième Leçon, ultime petit bonheur avant de quitter l’abbatiale et de regagner la nuit.