Au Salon de Queen Mary avec Ann Hallenberg et Les Talens Lyriques
En ces jours pluvieux de septembre, de nombreux mélomanes ont retrouvé un abri chaleureux sous les voûtes de la salle des concerts de la Cité de la musique. Cette institution parisienne, sœur aînée de la Philharmonie, propose un concert intimiste qui met à l'honneur une autre institution de la maison : le Musée de la musique. Cette soirée baroque met en scène un instrument du Musée, le fac-similé d'un clavecin de Vincent Tibaut de 1691 scrupuleusement restauré en 1994 par Émile Jobin. Il s'agit d'un des rares exemplaires de ce type de fabrication (il ne reste que trois originaux de cet auteur !) et dont la sonorité n'est pas trop éloignée de celle de l'époque. Ce projet est porté par les soins de l'ensemble Les Talens Lyriques, soucieux de l'interprétation historiquement informée, qui souhaitent ainsi replonger les amoureux du baroque dans le son historique de la fin du XVIIe siècle.
Cette entreprise justifie alors le choix musical entièrement consacré à Henry Purcell. Le compositeur britannique meurt en 1695, quatre ans donc après la création du clavecin en question. Et pour honorer cet artiste prématurément décédé (à l'âge de 36 ans seulement), l'affiche annonce les extraits des deux recueils posthumes réunis sous le nom d'Orpheus Britannicus (l'anthologie de ses chansons). Un certain nombre d'airs étant composés durant le règne de Marie II d'Angleterre (dont la fameuse musique pour ses funérailles de Purcell), le titre du concert arbore son nom pour désigner le style et l'ambiance sonore ("Salon de Queen Mary").
La mezzo suédoise Ann Hallenberg, spécialiste du baroque et collaboratrice régulière des Talens Lyriques, se présente en soliste et grimpe sur la scène à l'aide de béquilles. Cette contrainte physique n'affecte pourtant pas sa santé vocale : la puissante voix poitrinée résonnant dans les cimes et les vocalises commodément parcourues en témoignent, parmi d'autres. En revanche, son diapason médian est moins soutenu et limité dans l'intensité, alors que les notes graves s'avèrent rondes et colorées. Les tours de force portent parfois à l'excès la robustesse de son chant, alors vibré et peu élégant. Cependant, elle présente habilement une variété de types de chant dans "Bess of Beldom" (l'air de la folie), un phrasé finement brodé dans "From Rosie bowr's", ainsi que sa technique solide dans "Fly swift, ye hours", malgré un souffle parfois écourté.
Le trio de musiciens, Atsushi Sakaï à la viole de gambe, Karl Nyhlin au luth et Christophe Rousset au clavecin (déjà habitué à se produire sur les instruments du Musée), forment un accompagnement assez discret et au service de la chanteuse. Rousset s'impose en solo par les deux suites de Purcell tirées d'un autre recueil. L'instrument restauré porte une sonorité suave notamment dans le registre aigu, avec des graves non tranchants, ce qui se prête à entonner des danses galantes du XVIIe siècle.
Les gouttes de pluie essuyées et les cœurs réchauffés, le public quitte la salle récompensé de deux bis ("Thrice happy" et "Fairy isle") sur un ton optimiste et d'élan positif à foison.