Radio France inaugure Chorus Line, un fil vers la Liberté
Le Chœur de Radio France a rejoint cet été le "réseau national de centres d’art vocal" créé l'année dernière par le Ministère de la Culture. Ce label ministériel encore flou (comme pour celui de "théâtre lyrique d'intérêt national") n'apporte pas de ressources supplémentaires tout en voulant favoriser de grandes notions : "transmission et insertion professionnelle, éducation artistique, rayonnement du répertoire notamment a cappella et partage des ressources." Autant d'actions que les ensemble concernés mènent déjà depuis longtemps, restera donc à voir comment collaboreront ensemble les ensembles si différents de ce réseau, que sont le Chœur de Radio France, Accentus, Les Éléments, Musicatreize, Spirito, et la Cité de la Voix en Bourgogne-Franche-Comté. En attendant, les ensembles ayant été fraîchement labélisés sans un programme particulier, ils présentent leurs actions habituelles et regroupent leurs concerts prévus sous l'étiquette du réseau national.
Le concert de rentrée du Chœur de Radio France est ainsi le premier d'un nouveau programme baptisé "Chorus Line" et qui doit répondre aux enjeux du nouveau label choral national. Il semble étonnant de ne pas ajouter au nom anglais de ce programme ce qui aurait été sa très belle traduction en français : Ligne de C(h)œur, la dimension internationale tenant au fait que Radio France invitera pour ce programme le Chœur accentus mais aussi le RIAS Kammerchor de Berlin (point anglais non plus, d'ailleurs). "Chorus Line" donnera cette année 10 événements permettant aux "auditeurs-spectateurs de se faire, saison après saison, une culture du chant choral". À ceci près que les outils pédagogiques ne sont pas précisés : la culture du chant choral se fera donc a minima en entendant des œuvres différentes et ce premier concert ne propose d'ailleurs pas davantage que cela : un concert comme le Chœur de Radio France les donne régulièrement, avec leur qualité habituelle.
Un concert là aussi tourné vers d'autres événements et d'autres enjeux que le réseau national ou la pédagogie puisque le programme commémore le 250e anniversaire de la naissance de Beethoven, les 100 ans de la mort de Max Bruch et la Liberté française.
La dimension pédagogique se retrouve alors en fait dans l'interprétation même des morceaux par le Chœur et dans la direction de Martina Batič : limpides, claires, évidentes, au premier degré. La cheffe sculpte autant le son avec ses amples gestes de bras enlaçant qu'elle le sculpte avec ses mains et en intensifie les accents par ses doigts, autant qu'elle "mâche" littéralement le travail de ses choristes en mimant leur articulation. Cette interprétation littérale rend limpide et aussi fascinantes qu'écrites les couleurs romantiques, claires et douces autant que violentes de ces textes mis en musique. Les Lieder de Max Bruch sur des poèmes de sa fille Margarethe plongent vers la tendre prière, reprennent de puissants accents avant de redescendre dans une berceuse en canon. Le voyage du même compositeur sur des textes de Thomas Moore est aussi limpide qu'évident, flottant sur de longues résonances par une ample harmonie consistante.
L'interprétation littérale, recueillie et lointaine, ou présente et guillerette rend les couleurs comme le côté populaire et bucolique du Lied mais passe complètement à côté du sens profond de ces textes (comme cette fille de Moselle dont la robe, la chaussure et la chevelure déchirée, brisée et emmêlées doivent trahir et traduire la violence qu'elle a subie, "au milieu du chemin").
Si le travail pédagogique voulant reposer sur l'interprétation des musiciens ne peut faire l'économie de traduire aussi le sens métaphorique, il fonctionne toutefois puissamment dans les deux œuvres suivantes. Le littéral suffit à déployer l'intensité toute romantique du Chant élégiaque de Beethoven : cet immense crescendo-decrescendo de volumes sonores partant d'un Ave Maria au quatuor à cordes montant vers des sommets lyriques très tranchés mais conservant la juste richesse des tessitures qui filent en douceur vers les résonances conclusives.
Le dernier morceau au programme est le sommet d'un sommet : la cantate Figure humaine de Francis Poulenc et Paul Éluard composée durant la Guerre (1943), créée à Londres en 1945 puis à Bruxelles et Paris après la Libération. Un hymne à la résistance culminant sur un crescendo parmi les plus immensément nourris et intenses qui soient dans tout le répertoire, montant sur l'anaphore "Sur" 61 fois répétée (Sur mes cahiers d’écolier, Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige...) vers le sur-aigu de "Liberté".
Un suraigu déchirant le masque vocal mais pas les masques protecteurs des spectateurs et ceux que les choristes remettent dès la fin de leur interprétation. Un concert qui rappelle que la "Liberté" consiste à résister aux discours irresponsables et justement à protéger son prochain, à choisir un comportement qui nous permettra de recouvrer au plus vite notre liberté de respirer la culture (et qui nous rappelle aussi combien nos aïeux ont sacrifié, bien davantage que le fait de mettre un masque en public, pour quelques temps encore).
Liberté de Francis Poulenc par le Chœur de Radio France à l'occasion de ses 70 ans le 7 avril 2018, direction Sofi Jeannin la saison où elle quittait le Chœur pour rejoindre les BBC Proms