Correspondances versaillaises au Château de Canon
Pour offrir son troisième concert (sur cinq événements, tous complets), l’équipe du Festival a pu compter sur les artistes en résidence dans la région, l’Ensemble Correspondances (basé à Caen), le soutien de l’ODIA Normandie ainsi que de la famille Mézerac qui a ouvert les portes de son château.
Initialement, l’Ensemble Correspondances projetait un concert autour du compositeur Louis Le Prince, maître de chapelle à la Cathédrale de Lisieux au XVIIème siècle, avec des œuvres à grand effectif. Interrompu par la crise sanitaire liée au Covid-19, ce projet est reporté en 2021. Le nouveau programme s’est donc adapté aux contraintes, notamment au niveau du nombre de musiciens présents sur scène. Il s’articule autour de l’idée d’itinérance au temps du roi Louis XIV, évoquant la vie des musiciens à la cour obligés de composer avec le contexte, en fonction des déplacements du monarque. En conséquence, le répertoire était (déjà) adapté et modifié, parfois en temps réel. Les grandes pièces de la Chapelle royale de Versailles pour grand effectif étaient réécrites pour être jouées par une dizaine de musiciens disponibles, issus des trois corps hiérarchisés à Versailles : la Chapelle, la Chambre et les Écuries.
L’idée intéressante est menée avec une investigation poussée de la part de Sébastien Daucé, spécialiste de cette époque et de ce répertoire. Il s’appuie sur des manuscrits lui permettant de comprendre ce principe d’adaptation en temps réel.
La route était donc royale mais elle parcourra des chemins de traverse avant d’atteindre la destination, en ratant quelques correspondances. Tout d’abord dans le choix des compositeurs puisque la majorité des œuvres proposées sont de Marc-Antoine Charpentier, né l’année même (1643) où Louis XIV devient Roi de France mais qui n’a pas été à son service. Le reste du programme, improvisation de dernière minute oblige, est difficile à suivre et ne suit pas l’ordre proposé sur le programme distribué. Sébastien Daucé rajoute à cela une musique de procession (certes en lien avec l’itinérance mais pas vraiment avec la musique versaillaise) également écrite par Marc-Antoine Charpentier. Prévue au milieu du programme, elle sera finalement jouée au début, après une ouverture confiée aux instruments (ni signalée ni annoncée), tout comme la première pièce vocale ne correspond pas à celle attendue. Malheureusement, les explications offertes par Sébastien Daucé durant le concert ajoutent à la confusion et il justifie en définitive le choix de Charpentier par le fait que le compositeur venait souvent en Normandie lorsqu’il était au service de la Duchesse de Guise.
Expert dans cette musique, il précise toutefois les intentions de ce compositeur comme l’abandon de la monodie pour la polyphonie accompagnée et des innovations dans l’instrumentation en rompant avec les « familles » de sonorités. Ainsi, pas d’instruments à vent mais uniquement des cordes. Le choix de l’instrumentation présente ce soir propose cela étant un déséquilibre par une importance disproportionnée donnée aux instruments du continuo : une viole de gambe, un violoncelle, un théorbe, un orgue pour seulement deux violons assurant les registres aigus et les lignes mélodiques. En découle une musique peu nuancée avec un continuo pesant. Celui-ci, quasi-omniprésent (et comportant parmi ses musiciens un violoncelliste tonitruant) prend le dessus sur les chanteurs qui peinent à se faire entendre en solo. À certains moments, ceux-ci exploitent le lieu (fond de la salle lors de la procession ou élévation sur une tribune) ce qui permet alors de mieux dissocier leur timbre de cette masse sonore. La route semble longue et monotone jusqu’aux dernières pièces de ce concert. L’esprit versaillais émerge enfin avec l’interprétation assurée d’une danse suivie de l’une des compositions préférées du Roi, La grande pièce royale de Michel-Richard de Lalande, puis du motet Laudate pueri Dominum de François Couperin, dernière étape de cette itinérance musicale.
Côté chant, la soprano Adèle Carlier au timbre précis et résonant s’empare de la partie de premier dessus. Son vibrato est très contrôlé, rarement lâché entraînant une certaine raideur et des aigus qui ressortent un peu trop. Elle est très impliquée, au point de ne pas lâcher son pupitre. La deuxième dessus est assuré par Marine Lafdal-Franc dont la voix s’apparente à celle d’une mezzo-soprano. Le timbre est rond, chaleureux, faisant entendre un peu d’air, rendant son chant moins précis et présent dans les ensembles. Elle manque souvent d’attaques nettes. Lorsque les deux dessus chantent en duo, la première favorise les harmoniques aigus alors que la seconde privilégie les graves. Cela pourrait engendrer une belle complémentarité mais ici, les deux voix sont très éloignées.
La partie de basse-taille est confiée à Étienne Bazola. Son beau timbre de baryton est mis en valeur lorsque la musique est déclamatoire (et énergique) ou dans les airs à tempo rapide comme dans Super flamina Babylonis (Charpentier). Sa tessiture ne permet toutefois pas une présence suffisante dans les ensembles, d’autant plus qu’il est étouffé par les basses de l’orchestre, le mettant en difficulté. Il pousse alors un peu dans les graves et perd son accroche.
« Le chemin est long du projet à la chose » disait Molière. Ainsi pourrait-on dire de ce concert expérimental né d’une situation inédite, longuement applaudi par un public chaleureux et reconnaissant du travail accompli.
Ce concert est le premier d’une série de voyages en Normandie. Les musiciens iront (en vélo, à cheval, ou en tout cas sans émission de CO2) à la rencontre de lieux du patrimoine pour terminer cette tournée en automne au Théâtre de Caen avec le Ballet royal de la nuit, en espérant que leur chemin ne soit plus semé d’embûches !