Un Curlew River mystique au Grand Théâtre de Dijon
Curlew River a été composé par Britten en 1964. Premier volet des trois "Paraboles d'église" du compositeur, cet opéra rend hommage à la musique orientale, et japonaise en particulier, Britten ayant été marqué par ses découvertes musicales lors d’un voyage à Tokyo quelques années auparavant, au cours duquel il assistât à une représentation de La Rivière Sumida dont s'inspire le livret. Curlew River a été créé dans une église, l’Orford Church de Suffolk et son sujet est la narration par des moines d’un mystère révélant la grâce divine.
La Rivière aux Courlis (Curlew River, dont le nom provient d’une espèce d’oiseau) sépare deux royaumes. Un Passeur embarque sur son bateau des voyageurs souhaitant quitter le royaume de l’Est et ses Montagnes noires pour l’Ouest où a lieu un événement important : un pèlerinage sur la tombe d’un enfant mort un an auparavant et la tombe duquel se produisent des miracles. Une femme folle, elle-même à la recherche de son fils enlevé un an plus tôt, intègre l’expédition et comprend bien vite, aux récits du Passeur, qu’elle ne retrouvera pas son fils vivant. Son fils lui apparaît finalement, tandis qu’elle prie sur sa tombe, et lui rend la raison.
Curlew River mis en scène par Guillaume Vincent (© Gilles Abegg / Opéra de Dijon)
Très allégorique, l’opéra écarte le concret : comme les deux royaumes (Est et Ouest), les personnages sont désignés de manière descriptive (le Passeur, le Voyageur, la Folle, l’Enfant) et bien que la Folle cherche à connaître le nom de l’enfant décédé, celui-ci ne lui (et ne nous) sera pas dévoilé. Toute la place est ainsi laissée à l’identification et à la symbolique. La figuration ne provenant pas du récit, elle transparaît dans la musique : celle-ci rend à merveille la folie de la mère, l’écoulement de l’eau ou encore la grâce rédemptrice finale. Plus que la performance vocale des chanteurs, c’est ici leur performance théâtrale et leurs prosodies qui importent. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si l’œuvre a été confiée à un metteur en scène de théâtre, Guillaume Vincent, dont c’est ici la première réalisation pour l’opéra. La scénographie de Pierre-Guilhem, relativement dépouillée, fonctionne sous forme d’images d’Épinal, dans un statisme mettant en relief le texte et la musique. A l’avant-scène se produit le concret : les voyageurs dialoguent entre la rive et le bateau. Au fond se situe l’imaginaire et le mystique, avec quelques images fortes comme l’enfant mourant abandonné dans la neige ou sa dépouille attaquée par des (vrais) vautours.
Le plateau vocal est brillant : tous les protagonistes livrent le texte avec une parfaite élocution et une puissance adaptée à la salle, à la taille de l’ensemble instrumental et au jeu de leurs partenaires. La Folle de James Oxley (le récit étant narré par des moines, tous les rôles sont interprétés par des hommes) bénéficie d’une expressivité bouleversante. Stoïque durant le récit de la mort de son fils, le regard perdu, son interprète en fait une mère pas si folle que cela, mais simplement désespérée et épuisée par une recherche vaine de l’enfant perdu. Une plus grande précision dans la tenue des notes, notamment dans les aigus, aurait rendu sa prestation plus aboutie encore. L’évolution du personnage du Passeur interprété sur un ton martial par Benjamin Bevan est subtilement amenée : d’un homme narquois, volontiers moqueur, voire profiteur, il se prend de compassion pour la Folle en apprenant son histoire. Le Voyageur de Johnny Herford, en costume cravate déchiré et rapiécé, interprète à merveille la fatigue physique et psychologique d’un homme entraîné dans une course folle pour des raisons restant mystérieuses. L’Abbé campé par Vincent Pavesi introduit la parabole d’une voix caverneuse dans une quasi-obscurité avant de se faire le porte-voix des voyageurs.
Curlew River mis en scène par Guillaume Vincent (© Gilles Abegg / Opéra de Dijon)
Dans une fosse cachée au regard des spectateurs par le décor, faisant penser, toute proportion gardée, au Palais des festivals de Bayreuth, l’ensemble dirigé par Nicolas Chesneau délivre une musique quasi-mystique rythmée par des timbales étouffées et à la peau détendue, enchantée par les envolées lyriques de la harpe, en particulier lorsque la Folle mentionne les courlis, reprochant au Passeur de les appeler vulgairement des mouettes. Le travail de direction est ici rendu particulièrement complexe par la partition de Britten, conduisant par exemple à une cacophonie précisément organisée des chœurs. De la fosse, invisibles, montent également les voix de l’Enfant dont le rôle est chanté par la Maîtrise de Dijon et interprété scéniquement par un jeune garçon en doudoune rouge. Ce final, aussi réussi musicalement que scéniquement, laisse le public enthousiaste, bien que songeur : il s’agit là d’une œuvre à voir et à entendre, mais surtout à méditer.
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