Mahler souverain par l’Orchestre de Paris à la Philharmonie
Cette vaste soirée dédiée par l’Orchestre de Paris à Gustav Mahler se trouve principalement consacrée à la tentaculaire Symphonie n°6 en la mineur dite Tragique. Cette vaste page orchestrale d’une durée d’environ 90 minutes porte décidément bien son titre. D’emblée, au premier mouvement, la musique plonge l’auditeur au sein d’un univers résolument sombre et tourmenté. Les trois mouvements suivants confortent cette vision pessimiste, notamment dans le magnifique et presque fébrile Andante ou dans le mouvement final qui transporte l’auditeur presque au sommet d’un paroxysme musical qui ne semble jamais vouloir décroître. L’utilisation à trois reprises du fameux « marteau », instrument de percussion conçu spécifiquement pour l’ouvrage et produisant comme un coup de hache, se mêlant à un orchestre pléthorique, tétanise. Créée en 1906, à un moment où Gustav Mahler, jeune marié et nouveau père de famille respire le bonheur, cette symphonie écrasante surprend, mais annonce par bien des aspects prémonitoires les affres répétées d’un compositeur toujours tourmenté, voire dépressif.
Les Chants d’un compagnon errant (Lieder eines fahrenden Gesellen), composés en 1884/1885 mais créés en version orchestrale en 1896, se rattachent pour leur part aux années de jeunesse du compositeur. Ce cycle court (20 minutes), composé de quatre poèmes évocateurs en partie de la main de Mahler, s’inscrivent dans la lignée romantique germanique. L’évocation et la nostalgie du bonheur et de l’amour perdu, la nature idéalisée, la douleur redoutable et son intensité jamais éteinte, cette bien-aimée qui en épouse un autre, caractérisent cet ensemble bouleversant qui parle directement au cœur. Stéphane Degout, dont l’amour et la pratique du Lied et de la mélodie sont bien connus, s’empare avec une entière intensité expressive de ce cycle douloureux. Un peu mate au début, la voix incisive au timbre profond et aux couleurs subtiles conquiert toute sa glorieuse dimension et s’élève au troisième Lied, J’ai une larme brûlante dans la poitrine, dont Stéphane Degout dégage toute l’amertume, la désespérance. Le quatrième Lied évoquant les yeux bleus de la bien-aimée, mais aussi et surtout le repos enfin obtenu sous le tilleul, lointain hommage au Winterreise (Le Voyage d’hiver) de Schubert, montre un baryton au meilleur de son art, sans afféterie, ni compromis.
De plus, l’entente artistique avec le chef finlandais Jukka-Pekka Saraste parait évidente et donne aux Chants d’un compagnon errant toute la dimension tragique dans une ambiance pourtant claire et sans pesanteur excessive. Le chef offre une lecture très construite, particulièrement élaborée et épique de la Symphonie n°6. Les quatre mouvements s’enchaînent comme une évidence en mettant en relief tous les pupitres de l’Orchestre de Paris qui donne ici le meilleur de lui-même.
Le public semble saisi, mettant un long moment à réagir en fin de concert. Le même programme sera donné à la Philharmonie ce mardi 5 mars, sachant que cette soirée exceptionnelle sera ultérieurement retransmise sur les ondes de France Musique.