Grande Messe vénitienne par Les Arts Florissants à la Philharmonie de Paris
La solennelle machine à remonter dans le temps de Paul Agnew
Paul Agnew, élevé au rang d’Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres à l’issue du concert, présente dès le début le projet de la soirée. Dans un français mâtiné d’anglais, il annonce ce programme marqué par un fort « acte d’imagination ». En effet, le chanteur-chef-héritier de William Christie a fait un travail de musicologue (il dit agir dans la pure lignée de Vivaldi) en reconstituant la messe et son ordre musical traditionnel (Kyrie-Gloria-Credo-Sanctus-Agnus Dei) avec des pièces à l’origine indépendante (Kyrie, Gloria et Credo), les trois dernières pièces (avec le Benedictus) étant contrefacta, c’est-à-dire des pièces existantes sur lesquelles ont été transposés des textes religieux (là encore, Paul Agnew se coule dans les pas de Vivaldi). Seconde analogie, si le chef fait remarquer, non sans humour compte-tenu du contexte actuel, la composition de l’orchestre uniquement féminin, c’est qu’il recrée ici l’Ospedale della Pietà de Venise, ensemble de jeunes filles formant un chœur (coro) et un ensemble instrumental (concerto) dirigé par Vivaldi à partir de 1703. La Grande Messe de 1715, commande à Vivaldi supposée, peut alors commencer, le spectateur pouvant par l’imagination et le talent des musiciens et chanteurs entrer désormais dans l’espace musical rare de ce début de XVIIIe siècle (immersion à prolonger dans l’exposition sur les costumes des Arts Florissants au Musée de la musique).
Sous la direction de Paul Agnew proche de chacun, l’orchestre reste toujours très stable, permettant de jolies ornementations des voix, mais aussi quelques morceaux de bravoure des instrumentistes, notamment pour la violoniste Tami Troman dans la Communion qui résonne avec le fameux passage des oiseaux dans le Printemps de Vivaldi.
Pour les voix, si la soprano Sophie Karthäuser est absente pour le concert (pour raison de santé), la jeune Violaine Le Chenadec la remplace avec intelligence. Ses débuts sont certes un peu faibles en duo avec la mezzo-soprano Renata Pokupic, beaucoup plus assurée, mais la jeune soprano maîtrise malgré tout son solo, en découvrant nuances et grande délicatesse, avec un engagement visible (d'autant que le trio violon-violoncelle-continuo la soutient de façon très fine). De manière générale, les sopranos du chœur se distinguent par la pureté, la force et la chaleur de leurs interventions, y compris dans les passages a cappella : Maud Gnidzaz qui mène physiquement l’Introït, sa voix ressortant par sa puissance et son dynamisme, ou encore Eugénie de Padirac qui surprend dans le Graduel par un timbre très particulier (soprano mariant la dextérité et la finesse de vibrato dans les graves d’une voix d’alto à la chaleur de mezzo). Face à ces voix engagées, c'est alors Renata Pokupic qui garde certes une maîtrise impressionnante de sa technique, mais reste cependant un peu en retrait, y compris dans son solo du Gloria. En effet, la chaleur de l’interprétation et les graves d’une justesse remarquée sont quelque peu atténués par une intériorité, une retenue même pour la mesure de la Cité de la Musique. Les voix masculines assument tranquillement leurs parties en ensembles, les passages en fugue sont notamment l’occasion de moments d’échange, certes parfois moins soutenus.
Délaissant le Laudate de Michel Corrette initialement prévu, Paul Agnew, devenu le temps du concert prêtre, à l’image de Vivaldi, conclut la soirée par un retour du Credo, achevant ainsi sa messe dans une communion de la musique et des temps.