Sémiramis de Destouches sortie des Ombres à l’Opéra Royal de Versailles
Après un voyage de 18 mois et la création du programme au Festival d’Ambronay (pour commémorer le tricentenaire de la création de l’opéra en 1718), la tragédie lyrique Sémiramis de Destouches arrive à l’Opéra Royal de Versailles dans une version concertante. L’ensemble Les Ombres, spécialisé en découvertes de partitions méconnues, présente la dernière œuvre du genre de Destouches, après avoir sorti des oubliettes les cantates Sémélé et Œnone du même compositeur en 2009. La légendaire reine babylonienne, dont la vie inspirera plus tard Voltaire, Rossini ou encore Meyerbeer, est dans la version de Pierre-Charles Roy placée au cœur d’une intrigue amoureuse triangulaire, avec Amestris et le héros Arsane. Sémiramis aime et souhaite épouser Arsane, affrontant la volonté des dieux qui sont en faveur de l’union de ce dernier avec Amestris, qui lui cache son amour. Le mage Zoroastre est là pour exécuter la loi divine et dont une providence lui découvre que Sémiramis n’est autre que la mère d’Arsane. Le courroux des cieux exige une victime : la Reine meurt et laisse les deux amants assouvir leur amour et régner.
Éléonore Pancrazi, qui endosse le rôle-titre, ouvre la soirée par un air plein d’expression plaintive, son personnage regrettant les circonstances difficiles de sa vie. La mezzo corse se présente par un timbre lumineux, en restant toujours précise et agile dans les aspects rythmiques et mélodiques de la partition. La douceur de sa sonorité la rend moins convaincante dans les sentiments colériques, mais injecte en même temps une note de délicatesse à son interprétation aux accents baroques (surtout la scène émouvante de sa mort). Enfin, l’étendue vocale lui permet d'assumer pleinement les cimes et de descendre dans les graves, sans perdre d’étoffe.
Annoncée souffrante, Emmanuelle de Negri décide pourtant de chanter le rôle d’Amestris. Exceptés quelques moments à la résonance nasillarde qui trahiraient un éventuel rhume, son approche très investie sur le plan vocal ne laisse point de doutes à l'auditoire sur la qualité de son exécution. La justesse du ton est pure et immuable, projetant un son radiant qui brille dans les hauteurs de sa tessiture de soprano. Les phrases sont finement pétries avec moult fioritures, stylistiquement en place, en s’appuyant sur une articulation musico-textuelle nette et intelligible. Sur la palette dynamique sonore, ce sont les élégants piani qui la distinguent et dévoilent la face vulnérable de son caractère.
Côté masculin, Mathias Vidal représente Arsane, le sujet autour duquel l’intrigue se construit. Il est porté par un élan guerrier, son chant est vigoureux et énergique autant dans les régions centrales que supérieures de sa ligne vocale. Mais cette intensité fait que les forte de sa voix de tête sont tendus et nasaux. Pourtant, il aborde le rôle avec beaucoup de conviction dramatique, un travail soigneux sur les ornements et autres détails faisant ressortir le riche spectre des sentiments musicaux. Son collègue en Zoroastre, le baryton Thibault de Damas, partage cette ardeur interprétative. Son timbre foncé soutient ce jeu d’arbitre dans cette obscure atmosphère de la tragédie. L’émission est puissante dans le diapason médian (dominant l’orchestre), mais la voix perd en épaisseur et stabilité dès qu'elle s’approche des deux extrémités de l'ambitus. La prosodie est soignée, tout comme le rythme du chant, mais l’intonation tend à glisser lors des vibrati à pleins poumons.
Dans les rôles secondaires, la soprano Judith Fa propose une voix rayonnante, légère et élastique pour incarner La Prêtresse et une Babylonienne, tandis que Clément Debieuvre (ténor) aux couleurs solaires chante Un Génie et un Babylonien. Son phrasé est correct, mais les cadences un peu raccourcies, le souffle est court, ce qui rend la justesse fragile. Enfin, David Witczak en Oracle annonce le sacrifice exigé par les dieux, d'une voix solide et musclée, vocalisant avec pertinence.
L’ensemble Les Ombres dirigé par Sylvain Sartre est divisé en mélodistes (huit violons, placés à gauche sur scène) et la basse continue à droite, avec les vents (bois) en arrière qui peignent particulièrement les paysages pastoraux. L’ensemble est bien équilibré sur le plan sonore, tout comme le chœur du Concert Spirituel où la ligne masculine est renforcée. En résulte une image très proportionnée des parties chorales, discernable dans les airs polyphoniques (comme Triomphez, Dieux puissants). Côté orchestre, se distingue Marie-Ange Petit aux percussions dont les multiples effets comme le vent, tonnerre et l’orage avec les lumières de Nathalie Perrier enrichissent l’expérience d’écoute.
Les artistes sont acclamés par le public versaillais et le concert annonce un enregistrement pour le label du Château de Versailles Spectacles.