Eugène Onéguine, Ya Lyublyu Vas (je vous aime) à l’Opéra de Marseille
L’Orchestre de l'Opéra de Marseille dirigé par Robert Tuohy rend de Tchaïkovski la richesse des timbres accompagnant le chant, la mélopée du hautbois en écho aux vents, une couleur et une chaleur russe, grandissante et croissante par un investissement passionné. Des couleurs renforcées par la diction russe des chanteurs et la qualité de la traduction sur les panneaux électroniques.
Le compositeur ne souhaitait pas d’effet scénique, procédant par tableaux, rêvant d’une mise en scène sans luxe et historiquement située dans les années 1820. Ce qui est le cas ici, ou quasiment. Si la mise en scène réalisée par Alain Garichot semble s'immobiliser au fil de l’acte I, ce n'est plus le cas dans les actes suivants. Les arbres, qui constituent l’essentiel du symbolisme fort sobre du décor, sans branche et dont seule la base est visible, comme élagués par quelques géants, trônent sans discontinuer au même endroit, tels des piliers de temple.
Les premières notes chantées par Emanuela Pascu dans le rôle d’Olga figent l'auditoire puis se confirment. Son mezzo-soprano aussi timbré qu'homogène saisit le rôle et la ligne vocale dans son assise tragique et ornée. Thomas Bettinger (Lenski) présente d'abord un frêle ténor mais la voix se déploie comme le caractère s'assume. Les résonances s'amplifient et le timbre suit le parcours du personnage désabusé, à travers ses âges.
La Tatiana de Marie-Adeline Henry offre un soprano dramatique malgré quelques aigus difficilement placés. L'hésitation des phrasés est compensée par des élans vocaux, clairs-obscurs, ce qui éloigne cependant du caractère paradoxal de sa grande scène de la lettre : une absolue intériorité extériorisée. Certes, sa ligne mesurée est mélancolique, solitaire, sauvage, « timide comme une biche des bois » mais privilégie la pureté de la jeune fille aux dépens de la femme en proie aux désirs ardents.
Eugène Onéguine est assumé par Régis Mengus, dont le jeu et la présence concordent. Sa voix de baryton est très colorée et suave, mais victime d’un vibrato trop large rendant confuse une partie des hauteurs. À l’inverse, mais dans un rôle infiniment plus modeste, Monsieur Triquet incarné par Éric Huchet apporte la touche de fraîcheur et presque d’humour en langue française, avec une ligne claire et un jeu typique.
Le public applaudit la représentation avec chaleur, et une ferveur supplémentaire envers le Prince Grémine, joué par Nicolas Courjal avec un vibrato ample traduisant le bonheur si longtemps attendu.