Ambroisine Bré, Etoile montante de Tourcoing
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Cette Étoile d’Emmanuel Chabrier a tout pour apparaître régulièrement au répertoire tant sa musique est fine, son humour décapant et parodique, ses airs connus (et d'ailleurs souvent interprétés dans les concours par les mezzo-sopranos, y compris récemment par Ambroisine Bré, qui tient ici le rôle principal), qui restent en tête après la représentation : on ne compte d’ailleurs pas le nombre de spectateurs chantonnant ou sifflotant « Donnez-vous la peine » à la sortie du théâtre. Pourtant, l’opus n’avait plus été représenté en France depuis 2007 et sa reprise à l’Opéra Comique avant cette production donnée au Théâtre Raymond Devos de Tourcoing.
L’Atelier lyrique confie cette reprise événement au metteur en scène Jean-Philippe Desrousseaux, qui place l’action dans un décor de Mille et Une Nuits, inspiré du peintre Hermann David Salomon Corrodi. Il tire partie de sa sobre scénographie pour ajouter du comique de situation et de répétition à l’humour déjà très présent dans l’œuvre (l’hommage offenbachien de la cours, « pouvantable » ode au cynisme, provoque de nombreux rires dans la salle). Les dialogues, pourtant en partie coupés (y compris de quelques traits savoureux), manquent parfois un peu de rythme en ce jour de première, mais la joie qu’ont tous les artistes à célébrer cet ouvrage se ressent et gomme ce léger défaut. Comme promis par son interprète principale, le public rit de bon cœur, les surprises (dont, en effet, un rhinocéros) ne manquant pas.
Couplet du pal avec Stéphanie d'Oustrac et Christophe Mortagne, dans la production de l'Opéra national des Pays-Bas :
L’orchestre de La Grande Écurie et la Chambre du Roy lui-même se montre d’abord timoré, manquant d’homogénéité. Le chef Alexis Kossenko s’emploie, le sourire aux lèvres, dansant presque à son pupitre, à pétrir la pâte sonore (quitte à se débarrasser de sa baguette pour y plonger les mains nues) afin de lui rendre sa cohérence, produisant ainsi une seconde partie plus enlevée. L’Ensemble Vocal de l’Atelier Lyrique de Tourcoing est engagé théâtralement, bien ensemble, laissant ses basses luisantes éclairer ses interventions.
En Lazuli, Ambroisine Bré (qui nous confiait en interview faire confiance à sa bonne étoile) ne ménage pas ses efforts, bondissant, rampant, dansant, embrassant, sautant, roulant avec une gouaille et un appétit formidables. Ses deux "tubes" qui s’enchaînent dès le début de l’opéra (« Je suis Lazuli » et la Romance à l’Étoile) mettent en valeur un médium vibrant, chaud et gaillard, un phrasé dynamique avec un vibrato rond et vif. L’énergie déployée se répercute sur ses fins de phrases manquant parfois de souffle, mais ne nuit ni aux efforts de nuances, ni à l’expressivité. Anara Khassenova, passée par l’Académie Jaroussky, interprète Laoula, offrant deux voix pour le prix d’une. Les parties comiques, sollicitant son registre aigu, montrent une voix fine et acidulée tandis que les pages sérieuses, plus centrales, démontrent une épaisseur et une couleur plus lyriques.
Carl Ghazarossian campe un Roi Ouf burlesque à souhait, sans sacrifier (ce qui est pourtant souvent le cas pour ce rôle) la musicalité d’une partition pas si simple à chanter. Ses aigus sont richement timbrés, bien projetés et dotés d’un vibrato rapide et léger. S’il en fait une démonstration comique, sa longueur de souffle s’entend aussi dans son phrasé et la tenue de ses fins de phrases. Alain Buet campe un Siroco lunaire, citant les politiques contemporains (et réclamant du Roi Ouf le retrait de l’âge pivot de la réforme des retraites, plutôt que le sauvetage de son personnage). Sa voix sombre et puissante s’épanouit dans le duo de la Chartreuse et charpente les ensembles.
Nicolas Rivenq en Hérisson de Porc-épic, jubile à l’annonce de la mort de Lazuli, envoyant ses « crac » avec sadisme d’une voix souple, claire, projetée et d’une diction particulièrement ciselée (et obséquieuse, jusqu’à citer le « OK ! » de Christian Clavier dans Les Visiteurs). Juliette Raffin-Gay (Aloès) s’appuie sur le velours de son medium et l’intensité de son vibrato pour modeler une ligne vocale délicate et piquante, explorant des graves ardents. Denis Mignien est un Tapioca théâtral au clair ténor tonnant.
Relativement discret durant la représentation, le public salue chaudement et longuement les artistes à la fin de l’ouvrage, obtenant même en bis une reprise du chœur final, dans une ambiance festive.