Les Pêcheurs de perles prennent leur retraite à l’Opéra de Lille
Le quatuor artistique du projet FC Bergman (Stef Aerts, Joé Agemans, Thomas Verstraeten et Marie Vinck) qui assure la mise en scène, renonce à l’orientalisme du premier opéra de Bizet -situé sur l’Île de Ceylan- en le transposant dans une maison de retraite des temps modernes. Ce choix qui résonne involontairement avec l’actualité (la production fut créée en 2018 à Anvers) est matérialisé par une scène rotative divisée en quatre espaces : le salon, la morgue, une chambre et la plage avec une immense vague placée devant la maison. Cette scission entre la sphère intérieure et extérieure s’avère importante dans la lecture de FC Bergman : d’une part, elle représente la vieillesse enfermée (à vie) dans ce foyer et de l’autre, leurs souvenirs de la jeunesse et du temps passé qui prend sa mesure dehors, sur la plage/vague. En suivant le texte, l’équipe des metteurs en scène (r)évoque les rapports entre les personnages par le biais du jeu d’acteurs de leurs jeunes contreparties (Félicité Guillo, Yohann Baran et Rafal Pawnuk). Lorsque Leïla brise son serment, les deux mondes s’entremêlent et les frontières (imaginaires) s’effacent. Par cette transgression, elle regagne sa jeunesse (Gabrielle Philiponet enlève son masque de vieille dame). L’ensemble pictural est très lent, presque figé par moments. Ce statisme général nourrit le cliché de l’anémie et l’épuisement des personnes du troisième âge.
Ce procédé est davantage (sur)accentué chez le personnage de Leïla qui est (en partie) immobile dans son fauteuil roulant, les traits de son corps et visage (masqué) traduisant une difformité physique liée à la vieillesse (ou maladie) avancée. En revanche, la voix juvénile et agile de Gabrielle Philiponet offre un contraste manifeste et stupéfiant avec la figure pâle d’une dame brisée sous le poids du temps. Or, cette voix est tel le rappel d’un passé glorieux de chanteuse, puisqu’elle est portée (dans son fauteuil) par l’entrée par les hommes, telle une diva (« oui c’est elle, c’est la déesse » dans le livret) qui donne même un concert dans le salon de la maison de retraite (cette scène évoque la vie des pensionnaires de la Casa Verdi à Milan). Une fois démasquée, la fraîcheur vocale de Gabrielle Philiponet retrouve sa jeunesse corporelle, la concordance parfaite avec ce qui fut entendu jusqu’à présent : la voix souple qui ondoie facilement et franchit les obstacles techniques (la traversée souveraine des vocalises), en brillant dans les aigus qui retentissent fortement et naturellement. En revanche, elle est à la recherche d’une juste mesure de son vibrato et perd parfois l’équilibre de l’intonation dans le champ des suraigus. Elle est moins attentive à la beauté de la prononciation, mais cela se compense par un jeu scénique très convaincu, spécialement dans la première moitié de soirée.
Le ténor Marc Laho en Nadir est assez chaleureux et engagé dans sa prestation vocale. Son instrument richement timbré tire les aigus avec plein de force, une voix de poitrine très posée et puissante, ne se laissant pas couvrir par la fosse même depuis le fond de la scène. Son air « Je crois entendre » abonde de lyrisme et d’un phrasé raffiné, où il tâtonne avec précision sur les notes suraiguës par sa voix de tête. Enfin, son français est intelligemment articulé et minutieusement travaillé, faisant attention à chaque voyelle nasale (faisant en cela, d’ailleurs, exception avec le reste de la distribution).
Le baryton italien Stefano Antonucci, qui chanta le rôle de Zurga lors de la création de la mise en scène, survient dans cette production seulement quelques jours avant la première, remplaçant André Heyboer (souffrant). Son timbre vaporeux coïncide avec le caractère de son personnage qui oscille entre la lumière d’une grande amitié avec Nadir et la mélancolie, prémonition de la trahison. L’émission est suffisamment ample et il recourt fréquemment aux forces de sa voix poitrinée. La région basse et centrale de sa gamme vocale lui assure la stabilité et la beauté du son, mais dès qu’il monte aux cimes, le baryton se heurte à une perte de pigment sonore. Les cordes se tendent et la voix s’assèche, alors que les lignes épurées de l’accompagnement orchestral révèlent un vibrato lâché, insuffisamment maîtrisé.
Le personnage de Nourabad devient, dans la lecture de FC Bergman, le double du jeune Zurga : la basse polonaise Rafal Pawnuk au caractère sombre aussi bien que son timbre, puissant mais qui reste aligné avec l’orchestre. Son jeu autoritaire et coloré de méchanceté est réalisé avec beaucoup de conviction, alors que son chant très sonore dans le finale de l’opéra prend un ton funèbre (Zurga finit ses jours dans la morgue de la maison).
Guillaume Tourniaire construit une direction précise et sans décalages aucuns entre les différents acteurs. L’Orchestre de Picardie montre la tendresse des extraits lyriques par les forces jointes des cordes et bois, ou la masse des cuivres dans les scènes plus cérémonielles et dramatiques. Les danses orientales sont chantées avec beaucoup de vigueur par l’ensemble du Chœur de l’Opéra de Lille, contrairement à l’anémie et pesanteur des personnages qu’ils incarnent (vieux pensionnaires). Le corps féminin du chœur se distingue tout particulièrement par un chant doux et mesuré, plein de sensibilité musicale.
Le public lillois salue les artistes et accorde un accueil positif, sans exaltation toutefois.