Réveillon Lyrique avec Ludovic Tézier et l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Le public entre ébloui dans la salle parée d'une ambiance de réveillon. Deux lustres étincelant surplombent la scène. Ils sont éclairés et éclairent les lieux de lumières chaleureuses, blanches (qui se mêlent même à de la fumée diffuse) et rouges comme les tentures dressées sur scène, comme les murs uniques de cette Philharmonie dont les formes de Lego rappellent toute l'année un cadeau de Noël.
Les musiciens sont eux aussi sur leur 31 (décembre) : Mesdames en élégantes robes noires, Messieurs les choristes en chemises blanches et nœuds papillon noirs, Messieurs les instrumentistes en nœuds papillon blancs avec au revers de la veste une fleur rouge. Fleur rouge qui annonce celle de Carmen, chantée par la soprano Cassandre Berthon malheureusement sans une note juste, ralentissant le tempo jusqu'à l'essoufflement. Le volume de cette soliste au format et au répertoire plutôt léger, d'enfant ou en pantalon, est certes restreint. Le médium est peu ancré et les aigus se resserrent pour ne pas trop bouger mais le baryton et l'orchestre, quand ils l'accompagnent, se transforment en un murmure de pizzicati et la soprano exprime alors une douceur très tendre et touchante, sans rompre aucun phrasé ni aucune intention scénique, son regard étincelant comme les étoiles lumineuses projetées aux murs. Son rire en Adèle de La Chauve-Souris se fait dès lors plus lyrique.
La fleur rouge annonce donc plutôt le bouquet offert à la chanteuse dans un esprit de concorde en fin de récital, mais surtout la fleur qu'offre Ludovic Tézier à Cassandre Berthon en chantant tendrement dans son cou "Lippen schweigen" (l'entraînant dans quelques pas de valse sur un nuage de cordes et de harpes, le tout couronné d'un tendre baiser) puis "La ci darem la mano" (main qu'elle lui a déjà donnée à la ville), retenant, concentrant l'immense richesse de son timbre pour le marier avec la soprano en duo.
Dans une ambiance festive, les spots lumineux éblouissant balayent la salle comme pour une émission télévisée, comme la voix et le catalogue lyrique de Ludovic Tézier lorsqu'il peut pleinement exprimer ses moyens vocaux en soliste. Le baryton balaye les répertoires avec un volume ébouriffant, intense, riche, forgé et sculpté dans le cuivre et le cuir. Toréador de Carmen au torse bombé, il projette des banderilles sonores (comme il projettera la foudre en Wotan). Le souffle est riche sur tout l'ambitus, tous les ambitus même tant il couvre puissamment des aigus de baryténor et atteint un grave enténébré via des vocalises carnassières. La voix se projette à travers la salle dans un vibrato homogène. Son timbre a une sombre noirceur pourtant limpide dans l'articulation, à la précision mozartienne. Les voyelles sont pures, les consonnes immenses, démesurées. Sa prosodie rythme les accents de l'Orchestre. Son "Scintille diamant" est à la fois brut et poli (tandis que les spots braqués sur les lustres miroitent en prismes colorés dans toute la salle, comme la voix du chanteur).
Nul surtitre, nul besoin, en français, en italien ou en allemand (a fortiori devant ce public alsacien polyglotte) pour ce baryton mondial, originaire de Marseille mais désormais installé à Dorlisheim (comme s'en félicite le Maire de Strasbourg dans ses derniers vœux aux administrés, en prélude au concert).
L'Orchestre Philharmonique de Strasbourg sous la baguette de Marko Letonja, son Directeur depuis 2012, accompagne comme il ouvre d'emblée la soirée dans les dignes accents d'un Grand Réveillon Viennois. Les cuivres portent l'ensemble comme il se doit avec force et délicatesse des textures riches et marquées. Accents repris par les cordes, comme elle reprennent dans un second temps la nostalgie slave exprimée par les bois. Accents au service d'une scintillante Ouverture de La Vie Parisienne (mais non dénuée de gravité), où les pupitres se décalent certes sur les contretemps mais maîtrisent accélérés comme ralentis. Les Chœurs de l'Opéra national du Rhin s'y joignent pour une tendre Barcarolle, belle nuit ô nuit d'amour et d'ivresse souhaitée pour ce réveillon. Le Chœur de Tannhäuser enrichit la soirée d'un ample caractère mais garde aussi l'esprit fanfaronnant qui dès lors sonne moins noble et glorieux (qui sonne moins tout court, étant donné que les chœurs sont placés très loin au fond de la scène en hauteur). L'ensemble ne déploie pas moins un côté Guerre des étoiles aux fanfares de Wagner (qui en sont certes l'une des principales inspirations). Wagner -par les Adieux de Wotan- offre surtout à Ludovic Tézier l'immensité des phrasés, ces mélodies infinies dans un crescendo marqué d'accents éclatant bien au-dessus de l'Orchestre.
Les Accents festifs d'une concorde harmonieuse qui unissent la richesse de ce programme traversant les styles et les frontières, opérette viennoise, opéra en italien d'un austro-germain, opéra total germanique, opéra-comique français et opéra bouffe : à l'image de Strasbourg, capitale Européenne.
Le Chœur clame un "Bonne année" lançant le fameux "Galop infernal". Le public bat des mains en rythme, puis acclame les artistes et sort fêter la nouvelle année 2020 dans la joie et la bonne humeur !