Messa di gloria, Requiem buffo de Rossini à La Seine Musicale
Si elle n'était en latin, il serait difficile d'imaginer que cette pièce est une Messe et non pas un petit opéra typiquement rossinien. Pas un opéra seria ou lyrique en robe de prêtre (comme est par exemple surnommé le Requiem de Verdi) mais, à l'extrême inverse de l'esthétique religieuse, un véritable opera buffa défroqué ! Difficile d'imaginer les autorités ecclésiastiques accepter cette partition dans un lieu saint, tant elle rappelle la frénésie des théâtres (considérés comme lieux de débauche). Certes, Rossini donne à la Curie le gage d'une grande fugue finale, typique d'un contrepoint sacré (et d'un sacré contrepoint) mais le reste de la partition enchaîne les caractères typiques de son opera buffa, ceux par lesquels il a justement donné au genre ses lettres de noblesse : crescendo et accelerando Rossiniens (avec imitations de motifs rythmiques se répondant et échangeant sur de longues tenues). La structure de l'œuvre en grands airs mène bien loin de la messe : preuve en est, le public applaudit entre chaque mouvement, qui correspondent à autant de solos.
Cet étonnant mélange des genres s'explique historiquement par la situation de Rossini à l'époque : en tant que Directeur musical du San Carlo de Naples, il est aussi responsable artistique des grands événements de toute la cité (y compris de cérémonies religieuses). D'où la composition de cette Messa di Gloria, d'où aussi sans doute le fait que l'opus ait été oublié pendant près d'un siècle et demi pour resurgir à la fin des années 1960.
Pour porter (voire supporter) les immenses exigences et les différents styles de cette partition, il fallait donc des interprètes au parcours richissime mais avec la fougue et la vigueur de l'enthousiasme. Ils sont réunis ce soir, sous la baguette et à commencer par la cheffe Speranza Scappucci, qui offre son alliance habituelle d'une précision aussi rigoureuse que sa souplesse. La baguette délicate mène et fouette de grands accents, guidant l'infinie richesse de cette partition pourtant très rare, depuis le caractère léger des flûtes guillerettes sur un tapis de cordes pincées. Pointés et tirés s'enchaînent avec des attaques qui laissent soudain le pas à un immense legato, le tout plein d'une maîtrise radieuse.
La cheffe d'orchestre rappelle aussi qu'elle fut d'abord cheffe de chant et délaisse même un instant la baguette pour diriger à main nue les voix du chœur accentus. D'autant plus précis et cérémoniel (l'union des deux dimensions essentielles dans cette oeuvre), ils offrent leur homogénéité habituelle mais suivant aussi -plus expressifs encore- chaque intention de la direction.
Les voix solistes aussi doivent appartenir à la nomenclature typique du compositeur : depuis la basse chantante lyrique mais buffa jusqu'à la soprano en passant par le contralto rossinien et son ténor de caractère. Ils sont même deux ténors ce soir pour présenter toute la palette des couleurs vocales requises dans cette voix (certains interprètes ont su marquer les esprits voire l'histoire en sachant chanter seul ces deux voix solistes successives).
Levy Sekgapane, ténor habitué à chanter Rossini sur de très grandes scènes d'opéra (et qui retrouvera à Liège la directrice musicale Speranza Scappucci pour La Cenerentola) voit la virtuosité qui lui est demandée tirer vers des sommets dignes d'opus légendaires (comme Les Puritains de Bellini). S'il est obligé de marquer, du corps et de la tête, les grands élans vocaux pour suivre les cadences et temps forts, les immenses marches mélodiques des lignes en yoyo, avec des sauts abyssaux, deux, trois, quatre fois de suite en une phrase, la justesse est à peine éprouvée. La matière (richesse du timbre notamment) l'est davantage, mais pas le style. D'autant qu'il vocalise avec naturel (sans même avoir besoin de regarder cette partition).
Jack Swanson doit exposer à l'inverse un ténor barytonnant, qui monte en coloration, en brillance et en appuis mais aussi en douceur dans les inflexions de phrasés. Se rappeler que ce chanteur anglais au latin distingué était l'année dernière un Candide (de Bernstein) remarqué à Marseille et au Théâtre des Champs-Élysées est une preuve éloquente de sa richesse vocale, de caractère. Le tout tandis que le cor anglais (l'instrument d'époque, par son apparence, rappelle bien que ce terme est sans doute une déformation du cor "anglé") est mis à rude épreuve.
Jessica Pratt prend le temps de projeter une ligne extrêmement ample pour un soprano, déployant un crescendo plein de volume sur une note tenue. La largesse vocale se nourrit alors, ample et lyrique dans les cadences (alors que la voix reflue dans les mouvements rapides). Ève-Maud Hubeaux paraît d'abord intimidée par cette partition inchantable, ce rôle de contralto rossinien qui exige tout d'une mezzo-soprano, de la cave au grenier. Sa voix trouve les notes inférieures d'une manière sourde et raccourcie en fin de phrase, mais elle déploie progressivement son ambitus et sa matière. Dès lors, elle impressionne, puis elle sidère l'auditoire par un grave très profond qui monte large et ample vers des aigus de soprano lyrique. La chanteuse rappelle la dimension wagnérienne de sa voix et de son répertoire, comme à quel point c'est une nécessité pour cet opus.
Enfin, le dialogue entre le clarinette solo et la basse Mirco Palazzi déraille malheureusement sur la virtuosité superlative encore et toujours demandée. Rappelant ainsi la difficulté insigne de l'opus et refusant de ralentir la cadence, l'instrument notamment offre une suite malaisée de décalages et dérapages pour finir essoufflé et visiblement mécontent de lui-même (d'autant que des échos d'après-concert affirment que les traits étaient réussis pour la générale de la veille, le stress en moins). Mécontent de sa prestation, Mirco Palazzi le semble également, contraint qu'il est d'aller chercher des notes au plus profond de l'ambitus tout en conservant une agilité constante. Ce sont donc les fins de phrases et de séquence (et même un heureux passage qui lui est offert a cappella) qui permettent d'adoucir, d'atténuer un mezza voce très suave.
Si l'œuvre ne ressemble pas à une Messe, elle confirme la seconde partie de son intitulé par sa gloria musicale : succession de virtuosité qui emporte le public dans une longue acclamation. Rossini vaut bien une Messe, glorieuse.
Tonight in Paris 20:30 Messa di Gloria @gioacigno Rossini with @LEVYSEKGAPANE @jackswanson1 @Soprano_JPratt @evemaudhubeaux @MircoPalazzi @InsulaOrchestra @LaSeineMusicale @accentus pic.twitter.com/Qj8nSgXFEi
— Speranza Scappucci (@speranzascapp) 29 novembre 2019