Vol direct pour la Russie au départ de Clermont-Ferrand
“Les nuits blanches de
Saint-Pétersbourg”,
tel est le nom donné à ce concert
dédié
à la musique traditionnelle russe, un nom loin d’avoir été
choisi au hasard. D’abord, il renvoie à ce
phénomène atmosphérique qui voit, de mai à juillet, le jour ne
jamais se coucher sur une grande partie nord de la Russie (donnant
prétexte à plusieurs jours de fêtes et de festivals musicaux).
Surtout, “Les nuits blanches de Saint-Pétersbourg”
est le nom d’un CD compilant
de grandes mélodies russes, sorti
en 2015 par le trio Russalka
sous la direction d’un
maître de la balalaïka : le Franco-Russe Micha Tcherkassky. Ce même
Micha Tcherkassky
venu partager
son art singulier avec le public
de Clermont-Ferrand.
Sur la scène, un maître de la balalaïka
Aux côtés de ce maestro d’un soir (dont le grand-père, René Bergerioux, fut premier ténor de l’Opéra de Paris au début du siècle dernier), trois autres joueurs de balalaïka prennent place sur la scène clermontoise. L’occasion de découvrir la richesse de cette famille d’instruments, fonctionnant comme une forme de synthèse entre la famille des luths et celles des cordes frottées. Aux côtés du chef Micha Tcherkassky et de sa balalaïka prima, donc, se trouvent une balalaïka contrebasse (jouée par Jérémy Lasry), une alto (Philippe Garcia), et une piccolo (Natalia Trocina). De quoi avoir là un bel aperçu du potentiel de cette riche famille de cordes pincées (qui compte au total six variétés), avec l’accompagnement d’un autre instrument typique : le bayan (joué par Bogdan Nesterenko), accordéon russe aux sonorités voisines de celles de l’orgue, voire de l’harmonica.
Aux côtés du piano joué par la jeune Alexandra Matvievskaya, ces instruments profondément ancrés dans la culture russe trouvent largement à se mettre en lumière dans l’interprétation d’œuvres dont l’exécution est généralement confiée à des orchestres de composition classique, mais ici arrangées pour balalaïkas. C’est le cas de la Valse n°2 de Chostakovitch, ou encore de ces airs issus de ballets de Tchaikovsky (Casse-Noisette, Lac des Cygnes), qui trouvent là un relief sonore bien différent, certes moins triomphal et exaltant qu’à l’habitude, mais non moins entraînant. Et surtout, non moins empreint d’âme slave. Toute aussi épatante, la réorchestration de la fameuse Danse du Sabre d’Aram Khatchatourian donne l’occasion aux instrumentistes, et notamment à Micha Tcherkassky, de faire l’étalage d’une extraordinaire technicité et dextérité dans le parfait emploi de leurs instruments.
Mais
ce concert fait aussi la part belle à l’art lyrique, et donne
l’occasion à deux jeunes artistes de mettre en avant de belles
dispositions vocales. Première à rentrer en scène, la
mezzo-soprano Oleksandra
Didenko fait rapidement briller un timbre clair et sonore, aux
aigus vaillants, notamment
dans des interprétations
pleines de sensibilité de la célèbre Vocalise
de Rachmaninov puis
de l’Ave Maria de Caccini. Que
d’émotions transmises, aussi, dans une magnifique interprétation
de ce fameux “tube” du répertoire russe que constitue l’air
des Nuits
de Moscou (composé
par Vassili Soloviov-Sedoï). Un vibrato parfois instable
et des graves peu audibles sont seuls à mettre au discrédit de la jeune mezzo ukrainienne.
Avec
son style de crooner latin, le baryton-basse
Yuri Kissin, aperçu il y a un an en Avignon dans Les Noces de Figaro, se
distingue également par une prestation de joli
calibre, scéniquement (avec
une gestuelle ample et expressive) autant que vocalement. La
voix est robuste et
généreusement projetée,
comme dans cette
interprétation savoureuse de la Chanson
de Méphistophélès (ou
air de la Puce) signée Modest Moussorgsky. Interprété
à un rythme toujours plus rapide par
le quatuor
de
balalaïkas,
et invitant
le public à applaudir chaudement
pour battre la mesure (à
défaut de pouvoir danser), la chanson folklorique russe des
Colporteurs
donne une belle occasion au
chanteur de faire valoir tout l’éclat de son ample
instrument vocal, porté qui
plus est par une appréciable
longueur de souffle.
Le public vient à Clermont-Ferrand, mais repart la tête à Moscou, sur les bords de la Moskova, en train de chanter à tue-tête (et en tapant du pied) une incontournable Kalinka, venant inévitablement clore en beauté une soirée dépaysante et enchanteresse jusque dans les derniers accords de balalaïkas.