Benjamin Bernheim et Adriana Gonzalez, récital en état de grâce à Bordeaux
Apparaissant encore plus en forme que lors de son récital à Évian (notre compte-rendu d'octobre dernier à la Grange au Lac), Benjamin Bernheim revient à l’Auditorium de Bordeaux après son triomphal Des Grieux de Manon au printemps dernier. Son programme fait entendre des airs pleinement adaptés à sa voix de ténor lirico, issus de son premier enregistrement discographique qui vient de paraître avec un vif succès critique chez Deutsche Grammophon.
L’émerveillement de l’auditoire demeure constant tout au long du programme tant la voix du jeune ténor affirme une santé vocale éclatante et un placement idéal qui laissent transparaître une jeunesse, une séduction presque sans pareil à l’heure actuelle. L’aisance de l’aigu, la projection de la voix, ajoutent à un phrasé particulièrement soigné, attentif, à une prononciation superlative en français. Quelques améliorations pourraient être apportées sur le rendu de la langue italienne et sur le phrasé qui correspond, mais il suffira assurément d’interpréter les rôles à la scène pour que ces étapes soient aisément franchies.
L’air d’Edgardo Tombe degli avi miei du dernier acte de Lucia di Lammermoor de Donizetti le montre d’ailleurs sur la bonne voie. Mais le meilleur, comme à Évian, réside dans l’air de Roméo Ah lève-toi soleil de Gounod proprement irrésistible d’implication et couronné d’un contre ut resplendissant, dans "Pourquoi me réveiller" du Werther de Massenet, dans "Nature Immense" tiré de La Damnation de Faust de Berlioz, plus habité que lors de sa précédente interprétation. L’air de Lenski, "Kuda, Kuda" d’Eugène Onéguine, tout en caresse et en introspection, laisse heureusement présager de son ouverture vers le répertoire russe.
De son côté, Adriana Gonzalez (récemment interviewée par Ôlyrix) ne paraît pas en reste et justifie largement son Premier prix au dernier concours Operalia. L'intelligence expressive est au service d’une voix de soprano qui s’élève avec franchise et brille par sa maîtrise sur toute son étendue. L’air de Micaëla (pour Carmen de Bizet), si souvent ressassé, reprend toutes ses couleurs dans son interprétation pénétrante. Et l’air des Bijoux du Faust de Gounod avec ses trilles, ses envolées lyriques, son innocence même, affirme par son approche une jeunesse toute parée d’espoir. Il retrouve ici toute sa signification d’origine.
Trois duos réunissent les deux artistes, dont celui de l’acte I de L'Élixir d’amour de Donizetti, "Una parola… Esulti pur la barbara",
où Benjamin Bernheim se montre irrésistible face à sa partenaire
toute de piquant et de répondant. Le duo de l’acte IV de Roméo et
Juliette "Va, je t’ai pardonné", captive par l’investissement des deux partenaires. Pour terminer le concert, le duo
de Traviata "Libiamo, libiamo" s’impose pour le plus grand
plaisir d’un public totalement conquis.
À la tête de l'Orchestre National Bordeaux Aquitaine, un tout jeune chef d’origine ukrainienne de 28 ans, Oleksandr Yankevych effectue ses débuts de direction en France. Pianiste d’origine, à ce titre lauréat HSBC en 2018 à l’Académie d’Aix-en-Provence, il est actuellement attaché à l’Opéra Royal de Stockholm. Dans l’ouverture de La Force du Destin de Verdi, dans La Polonaise d’Eugène Onéguine, il révèle un tempérament ardent et plein de flammes, qu’il pondère avec sensibilité et musicalité dans le fameux Intermezzo issu de Cavalleria Rusticana de Pietro Mascagni. De fait, ce ne sont plus deux artistes exceptionnels qu’il convient de suivre très attentivement ces prochaines années, mais bien trois.