Les canons de l’élégance, le Lied allemand avec Christian Immler et Anne le Bozec aux Invalides
En partenariat avec le Centre international Nadia et Lili Boulanger qui organise en ce début décembre 2019 la dixième édition de son Concours de chant-piano et commémore les 40 ans de la disparition de Nadia, la Saison musicale des Invalides invite dans son Grand Salon deux artistes spécialistes du Lied allemand, en écho à l’exposition temporaire « Canons de l’élégance » au Musée de l’Armée.
La pianiste Anne le Bozec, qui se produit régulièrement dans ce répertoire, enseigne l’accompagnement vocal au Conservatoire National Supérieur de Paris, tandis que le baryton-basse Christian Immler a su matérialiser son amour pour le Lied à travers de nombreux enregistrements au disque. De surcroît, les deux interprètes sont lauréats du Concours Boulanger (Christian Immler en fut même le premier).
Le chanteur revient donc à Paris (après le Freischütz avec Laurence Equilbey au TCE), l’élégance du chant et de la posture du baryton-basse se mariant harmonieusement avec l’élégance de la salle du Grand Salon des Invalides, dont l’intimité acoustique offre une sonorité bien conforme à l’art de la mélodie. La soirée s’ouvre avec la gaillarde Sailor’s song (Le Chant du marin) de Haydn (seule chanson dans une autre langue que l'allemand) où Immler parvient à unir la gravité du discours (par sa basse autoritaire) avec la légèreté de son exécution (malgré une petite rigidité des mélismes). Il brosse également une palette de couleurs dynamiques qui contribue vivement à sa qualité de narrateur. Il dépeint ainsi plusieurs caractères, tout particulièrement dans Belsazar de Schumann sur les vers d’Heinrich Heine. Le célèbre poète allemand (et décédé à Paris) est à l’honneur ce soir avec deux autres pièces sur un même texte – Die beiden Grenadieren (Les deux grenadiers), l’une de Schumann, l’autre de Wagner. Il déploie alors son assise bien étoffée par une projection droite et puissante, sans oublier les variations expressives en lien avec la dramaturgie de l’œuvre. Sa Marseillaise (citée dans la partition de Schumann) est colorée d’un élan héroïque et patriotique, avant la version solennelle et non moins guerrière du maître de Bayreuth. Outre la force vocale de sa tessiture inférieure et médiane dans les chants qui appellent ou décrivent le combat, son intonation dans les aigus reste tantôt puissante et stable (Odins Meerestrit–La Traversée d’Odin de Carl Loewe), tantôt douce et pure (le fausset dans les Trompettes de Hindemith). Par le Chant funèbre des boyards (Todeslied der Bojaren) de Mendelssohn, il plonge l’auditoire dans le caractère plaintif de la pièce, dont une bonne partie est sans accompagnement du piano, avec une justesse infaillible et des lignes longtemps tenues. Le chant se termine avec un effet délicat de crescendo et decrescendo en guise de dernier soupir des boyards qui subiront une exécution. Enfin, le choix des pièces en langue allemande semble bien pensé : la prononciation de sa langue maternelle est à la fois travaillée et naturelle, les consonnes et allitérations sont soigneusement articulées.
Ce soir, le jeu d’Anne le Bozec paraît plus réservé que la prestation de son collègue, mettant son accompagnement au service du chant. Dans les extraits solistes, elle tente de dialoguer avec la mélodie chantée et exprime une virtuosité technique qui dénote parfois. Toutefois, son interprétation apporte beaucoup d’expressions dramatiques, manifestant une intelligence et compréhension de la partition et du texte. Les mélodies de Schubert reposant sur un accompagnement en accords arpégés ou la virtuosité mendelssohnienne à l’instar du Songe d’une nuit d’été, offrent un aboutissement à son jeu engagé. L’apothéose de la soirée arrive à la fin avec le cycle de Brahms Romances de La Belle Maguelone où les deux artistes cherchent la grandeur du son, une diversité dynamique et des caractères, avec un phrasé expressif et mélodique.
Le Tambour d’Hugo Wolf clôt le concert en bis, avec un jeu allègre et parodique, qui retrouve son écho auprès des forts applaudissements d’un auditoire tout aussi allègre, mais sûrement pas parodique.