Berlioz, d’Oustrac et leurs amis font salon à la Philharmonie
Les romances inscrites au
programme dévoilent une facette peu connue de Berlioz, plus célèbre pour ses œuvres
monumentales à effectif gigantesque. Il adorait pourtant ce répertoire intime qu’il
chantait lui-même en s’accompagnant à la guitare lors de soirées entre
amis. « La
guitare résumait pour lui tous les instruments, et il en jouait très bien. Il
la prit donc et se mit à chanter » (Legouvé).
Parmi les amis réunis au cours de ces soirées musicales figuraient des personnalités illustres tel que Franz Liszt dont est jouée ce soir L’idée fixe, pièce pour piano sur une mélodie de Berlioz. Nicolas Dalayrac a également beaucoup compté dans la formation musicale du jeune Berlioz et ses trois romances ainsi que le célèbre Plaisir d’amour de Johann Paul Aegidius Martini révèlent une fois encore le goût du maître pour cet univers naïf et sentimental. Genre très prisé, les salons regorgeaient de romances et de chansons mais si beaucoup s’aventuraient à en composer (Dominique Della Maria, Lélu, François Devienne, Charles-Henri Plantade, Eugène Vivier et Jean-Antoine Meissonier), tous n’étant pas aussi habiles et inspirés que le maître guitariste.
Afin de parfaire l’immersion dans le bain musical de ces salons, les œuvres sont interprétées sur des instruments provenant de la collection du Musée de la musique. Tanguy de Williencourt parvient à restituer toute la douceur et le velouté du piano à queue Pleyel de 1842 et Thibaut Roussel fait part de son émotion à jouer sur une guitare Grobert 1830 ayant appartenu à Paganini puis à Berlioz.
Au centre de ce salon réimaginé, juchée sur un tabouret haut, Stéphanie d’Oustrac invite à tour de rôle les différents instrumentistes à partager les pages musicales de Berlioz et de ses amis. Elle connait bien le compositeur pour avoir interprété ses œuvres à plusieurs reprises (elle triomphait l'an dernier à l’Opéra de Paris en Cassandre dans les Troyens) et c’est avec beaucoup de bonheur qu’elle dévoile ses talents de conteuse dans les romances choisies.
Grace à sa diction impeccable, le public ne perd pas un mot et, suspendu à ses lèvres, il se délecte des couleurs vocales et des nuances avec lesquelles la mezzo-soprano irise son chant, chaque mot étant soutenu par une intention. Au souvenir des Jours de tendresse (Fleuve du Tage de Berlioz) ou des plaisirs d’amour, elle convoque une grande douceur à l’aide de sons suaves préservant toutefois une réelle accroche. Espiègle, elle s’amuse à prononcer « Oh ! ma Georgette » avec un sourire malicieux. Dans Élégie en prose de Berlioz, sa voix opératique retentit, ronde et vibrante, projetant sûrement les aigus (« oui, pleure, pleure ! ») et poitrinant le grave intensément (« c’est l’orgueil de mourir pour toi »).
Dans une ronde, parfois perturbée par une installation sans cesse renouvelée en fonction des instruments amenés à se produire, les instrumentistes se joignent à elle. La harpe (une Blaicher 1830) jouée par Caroline Lieby s’associe à la guitare et le mariage de leurs cordes pincées offre un accompagnement d’une grande délicatesse. La contribution du violoncelliste Christian-Pierre La Marca (sur un J.B. Vuillaume, 1856) demeure restreinte mais néanmoins remarquée notamment lorsqu’il dialogue avec la chanteuse dans La Captive de Berlioz. Lionel Renoux apporte toute sa passion pour son instrument, le cor naturel (ici un Courtois Neveu Aîné, 1816-1837), en présentant avec beaucoup d’humour le corniste, auteur et compositeur, Eugène Vivier. Sa maîtrise est exceptionnelle : dans une grande justesse et une douceur sonore, il équilibre ses interventions aux cotés de la chanteuse.
Le public quitte le salon après deux reprises d’airs du programme et est invité à une séance de dédicaces de l’enregistrement de ces romances.