Animations enchantées de L'enfant et les sortilèges à l'Opéra de Lyon
À l'approche de l'hiver, l'Opéra de Lyon reprend une production de L'Enfant et les sortilèges destinée à séduire un large public (à partir de 7 ans). La variété de la musique (signée Ravel), la poésie d'un livret en français à la fois simple et fantaisiste (Colette), les animations vidéos conçues par Grégoire Pont et la mise en espace efficace de James Bonas, de même que la durée de la représentation (moins d'une heure) et les horaires proposés : tout s'assemble pour offrir un spectacle accessible à tous. L'Enfant et les sortilèges est une « fantaisie lyrique en deux parties » : à une première partie dans la maison, où l'enfant capricieux trépigne et abîme ce qui l'entoure, succède une seconde partie dans un jardin où ont lieu de nouvelles rencontres enchantées avant les retrouvailles avec la maman. Grégoire Pont a conçu un ensemble ingénieux d'animations vidéos projetées sur une toile sombre tendue à l'avant-scène. Des images blanches ou colorées apparaissent, comme dessinées à vue sur la toile par la baguette d'un magicien invisible, pour donner vie à l'univers de l'enfant et aux personnages qu'il rencontre. Dans leurs sobres costumes sombres, les chanteurs évoluent devant ou derrière la toile, sur laquelle leurs personnages sont parfois dédoublés, voire explicités. Ainsi, dans le duo du Fauteuil et de la Bergère, le dessin donne-t-il à comprendre que cette dernière est bien un siège et non un personnage pastoral. La salle elle-même peut aussi devenir un lieu de projection quand de petites bêtes lumineuses envahissent les balcons sombres conçus par Jean Nouvel.
La distribution réunie pour cette reprise est constituée de jeunes chanteurs. Les voix féminines se partagent les rôles en alternance sur les sept représentations, tout en respectant les appariements de personnages souhaités par Ravel. En ce soir de première, l'Enfant est chanté par la mezzo-soprano Clémence Poussin, dont la voix claire, aux aigus doux et aux graves stables, donne à entendre aussi bien la colère capricieuse et les bouderies que l'émotion et la découverte de la compassion. L'autre mezzo-soprano à chanter le rôle, Beth Moxon, incarne cette fois la Chouette, oiseau nocturne auquel convient son timbre un peu plus sombre. Elle confère aussi une fantaisie bienvenue à la Bergère, dans un duo savoureux avec le ténor Kaëlig Boché. Ce dernier offre également au Petit vieillard (Arithmétique) et à la Rainette une présence pleine d'humour et une voix plutôt sonore, parée de jolis reflets, mais d'une densité inégale. Feu, Pastourelle et Chauve-Souris sont interprétées par Erika Baikoff, au soprano charnu, qui parfois étincelle. Maman qui surgit dans la fantaisie onirique de son enfant sous l'apparence d'une Tasse chinoise et d'une Libellule, la mezzo-soprano Claire Gascoin emploie ses graves onctueux à faire entendre la fermeté, l'autorité et la tendresse maternelles, comme la folie de la délurée petite Tasse chinoise et le vol poétique de la Libellule.
Les rôles du Rossignol et de la Princesse, plus virtuoses et exposés, offrent une occasion de briller dont la soprano Margot Genet ne se saisit que dans le medium, la voix étant parfois presque cinglante dans les aigus. La quatrième mezzo-soprano de la distribution, Eira Huse, chante avec conviction un Pâtre, puis joue la séduction et minaude dans le rôle de la Chatte, avant de proposer un Écureuil rond et enlevé. Le Chat qui lui donne la réplique est chanté par Christoph Engel, qui prête aussi à l'Horloge comtoise sa voix de baryton aux graves tenus et au jeu appliqué. Enfin, la voix la plus grave est celle du baryton-basse Matthew Buswell, qui peine parfois dans les rôles du Fauteuil et de l'Arbre. Les inflexions sont inégales et le chant, qui parfois s'élargit, peut aussi perdre en densité. Le chanteur fait néanmoins preuve d'un même engagement dramatique dans ses deux personnages.
Placé sur scène, l'Orchestre de l'Opéra de Lyon, sous la direction de Titus Engel, fait résonner la grande variété des couleurs demandée par l’œuvre. L'écran placé à l'avant-scène ne permet de le distinguer que par jeux de transparence, dans des surgissements visuels qui font écho à la musique. Cet emplacement a aussi le mérite de ne pas mettre en difficulté les jeunes chanteurs, qui peuvent ainsi se concentrer sur la qualité de l'expressivité et de l'articulation, très soignées chez chacun d'entre eux. Les Chœurs de l'Opéra de Lyon, qui prennent place sur les côtés, presque en coulisses, à peine visibles, ou à l'avant-scène, font eux aussi preuve d'une diction très précise, tout en demeurant attentifs tant aux nuances qu'aux exigences des quelques jeux de scène auxquels ils prennent part. Les sous-titres proposés ne sont donc pas nécessaires pour comprendre les paroles chantées, ce qui permet de profiter pleinement de toute la poésie visuelle et sonore offerte par ce joli spectacle. Les applaudissements chaleureux, qu'accompagnent des bruissements de voix enfantines, témoignent à la fin de la représentation du plaisir offert aux spectateurs.