Les Brigands font swinguer Yes ! de Maurice Yvain au Théâtre Montansier
« Yes ! » C’est
la réponse du compositeur Maurice Yvain lorsqu’on lui propose, fin
1927, d’adapter pour la scène le roman de Pierre Soulaine, Totte
et sa chance. Écrite en seulement un mois – une tournée était
prévue en janvier 1928 ! –, son opérette est originale
à deux égards, au moins. Tout d’abord, parce qu’elle est l’une
des premières œuvres à introduire le jazz américain dans
l’opérette française. Ensuite, parce que sa partition est écrite
pour deux pianos.
Mélange de vaudeville et de théâtre de boulevard, Yes repose sur un ressort comique bien connu du public de l’époque : un mariage arrangé qui finit par devenir un mariage d’amour. Maxime, fils de l’industriel René Gavard, décide d’épouser hâtivement Totte, la manucure de son père, afin d’échapper au mariage forcé que ce dernier lui impose et de continuer son aventure avec Madame de Saint-Aiglefin. Évidemment, rien ne se passe comme prévu ! L’œuvre met en scène de nombreux personnages-types des années 1920, parmi lesquels le fils de bonne famille oisif, le riche industriel, le domestique de music-hall, le majordome communiste, la cocotte aristo et la gueuse carriériste. Une belle brochette !
Le spectacle est mis en scène avec une certaine économie de moyens par Vladislav Galard et Bogdan Hatisi. Vêtus en costumes d’époque, les chanteurs évoluent dans un décor minimaliste mais évocateur, quelques accessoires suffisant à suggérer le capharnaüm dans lequel vit le fils Gavard ou bien l’élégant bord de mer du Touquet où Maxime et Totte convolent. Malgré un démarrage un peu long et un rythme irrégulier, le public se laisse tout de même séduire par les scènes d’ensemble bien senties, portées par l’énergie des comédiens. Quelques comiques arrachent un sourire, à l’instar de Maxime débarquant sur scène en tenue d’Adam, le sexe caché par un plumeau, ou bien de l’extravagante Marquita Negri, croisement entre une danseuse de samba et une indigène amérindienne.
C’est avec plaisir que l’auditoire redécouvre la musique légère, enjouée et sautillante de Maurice Yvain, qui emprunte autant à la tradition de l’opérette qu’à la musique jazz. Une musique généreuse en mélodies entêtantes, dont le fameux « Yes ». Réorchestrée pour l’occasion, la partition est ici interprétée à la sauce jazz par trois musiciens talentueux. Piano ragtime, walking bass, batterie groovy rythment le spectacle, rejoints ponctuellement par un vibraphone, des guitares hispaniques et même des ondes Martelot. Le batteur fait preuve d’une réelle inventivité et d’un grand sens de l’humour, n’hésitant pas à transformer un service à thé en set de percussions !
La soprano Clarisse Dalles interprète une Totte candide et touchante. Sa voix charmante multiplie les aigus légers, dévoilant une belle amplitude dans les passages les plus lyriques, comme dans le désarmant « Tout cela n’est plus pour moi ». Face à elle, Célian D’auvigny campe un Maxime Gavard convainquant, fils à papa frêle mais dynamique. Sa voix agile, bien que manquant un peu de puissance, et son timbre sobre épousent joliment le phrasé rapide du rôle.

Le ténor Flannan Obé, récemment applaudi à Marigny dans les opérettes en un acte Sauvons la caisse et Faust et Marguerite, délivre une merveilleuse prestation dans le rôle de Roger. C’est avec malice qu’il interprète ce domestique cocu qui se transforme en un chanteur de music-hall flamboyant et cabotin. Sa voix est éclatante, son vibrato délicieux et son timbre légèrement grinçant quand la partition le demande. Sa technique vocale irréprochable est doublée d’une pleine aisance scénique, ponctuée d’un joli numéro de claquettes. La soprano Anne-Emmanuelle Davy ne démérite pas moins dans le rôle de Madame de Saint-Aiglefin, qu’elle interprète avec raffinement et élégance. Sa voix noble, sa prononciation soignée et ses aigus perçants conviennent en tout point à cette femme de la haute-société incarnée avec une délicieuse fraîcheur.
Le baryton Mathieu Dubroca incarne de sa belle voix grave et ample César, majordome communiste un tantinet obséquieux, avec un phrasé habile et un net sens du rythme. Gilles Bugeaud campe un sympathique Monsieur de Saint-Aiglefin, un poil snob, auquel il prête sa puissante voix de basse, légèrement nasillarde par moments, offrant de beaux graves ronds. Éric Boucher est moins convaincu dans le rôle de René Gavard, « le roi du vermicelle », qu’il interprète de manière poussive. Chaleureuse par moments, sa voix manque trop souvent de relief, tandis que son timbre un peu sec dissimule une certaine aigreur. Le casting est complété par Caroline Binder, Clémentine gouailleuse à souhait – clin d’œil à Arletty qui avait créé le personnage – avec un cheveu sur la langue tout à fait comique, et Emmanuelle Goizé, extravagante Marquita Negri roulant outrageusement les "r" à la manière latino.

Moins entraînant que d’autres productions du Palazzetto Bru Zane –comme le très remarqué Mam’zelle Nitouche–, Yes offre néanmoins un agréable moment de divertissement, reçu avec un certain enthousiasme par le public de Versailles qui, quoiqu’assez peu réceptif durant la représentation, réserve un bel accueil lors des saluts.