Philip Glass revisite l’album "Lodger" de David Bowie avec sa Symphonie n°12
Il
aura fallu plus de vingt ans pour que Philip Glass achève son cycle
de symphonies inspiré par la Trilogie
berlinoise de David
Bowie et Brian Eno –surnommée ainsi car partiellement enregistrée
à Berlin Ouest, alors capitale de la République fédérale
d’Allemagne. Commandée par la Dresdner Philharmonie, le Los
Angeles Philharmonic Association, le Southbank Centre London et
l’Orchestre Philharmonique de Radio France, la Symphonie n°12
« Lodger » a été créée en janvier dernier à Los
Angeles. Elle est présentée pour la première fois en France, dans
l’Auditorium de la Maison de la Radio par
l’Orchestre Philharmonique de Radio France et la chanteuse
Angélique Kidjo, sous la direction de Krzysztof Urbański.
Peu d’œuvres rock jouissent d’une réputation aussi considérable que les trois albums qui constituent la Trilogie berlinoise de David Bowie et Brian Eno (multi-instrumentiste, pionnier de la musique ambiant et producteur des Talking Heads, de U2 et Coldplay). Enregistrés entre 1977 et 1979, Low, "Heroes" et Lodger ont durablement marqué l’histoire du rock par leur inventivité, mêlant à la fois rock, funk et Krautrock (version allemande du rock progressif), musiques électronique, world et contemporaine. Philip Glass adapte le premier album de la trilogie en 1992 (Low Symphony) puis le second en 1996 (Heroes Symphony). Il s’agit de symphonies sans paroles, dont la musique, bien qu’elle s’inspire des mélodies de Bowie et Eno, en est finalement assez éloignée. Peu intéressé de son propre aveu par les idées musicales de Lodger, troisième et dernier album de la trilogie, Philip Glass n’était pas pressé de s’atteler à cette nouvelle symphonie. C’est pourquoi il a décidé cette fois-ci de partir non pas de la musique mais des textes, délaissant complètement les mélodies originales.
Arpèges aériens, ponctuation de cuivres, claviers trépidants, rôle prépondérant des percussions, décalage rythmique, répétition à l’envi de motifs mélodiques simples : cette douzième symphonie est typique de la musique de Philip Glass, minimaliste et hypnotique. Dirigé par Krzysztof Urbański, l’Orchestre Philharmonique de Radio France alterne mélancolie et moments d’excitation. L’orgue, tenu ici par Iveta Apkalna, y tient une place de choix, se transformant en orgue de barbarie frénétique (African Night Flight) ou bien se lançant dans un ragtime dissonant (Boys Keep Swinging). Il parvient à créer un certain équilibre entre les différents instruments, et ce malgré la disparité et les décalages rythmiques de la partition.
C’est à la chanteuse de jazz béninoise Angélique Kidjo que Philip Glass a confié l’interprétation de la partition vocale. Un choix assez logique puisque, en plus d’avoir travaillé avec le compositeur pour Three Yoruba Songs, la chanteuse est également familière de l’univers musical de Brian Eno. Elle a en effet publié l’année dernière un disque sur lequel elle réinterprète Remain in light, chef d’œuvre du groupe new-yorkais Talking Heads produit par Brian Eno.
La partition vocale composée par Glass se rapproche davantage de l’univers du jazz que de celui du lyrique, provoquant un effet de décalage assumé avec la partition de l’orchestre. Angélique Kidjo, dont la voix grave rappelle la suavité des chanteuses de musique soul et latino, apporte une forme de spontanéité à l’œuvre, notamment lors des passages les plus dépouillés (comme la ritournelle finale dans African Night Flight). Vêtue d’une robe violette aux motifs africains et la tête ornée d’un turban, la chanteuse se laisse emporter par le rythme entraînant des percussions et se déhanche légèrement. Un peu en retrait au début, sa voix gagne en puissance et en intensité au fil de l’exécution. La prestation reste malgré tout parsemée de notes pas toujours tenues, manque de justesse, sans compter le fait que la voix se retrouve trop souvent noyée dans la masse orchestrale, malgré le recours à un micro.
L’enregistrement du concert devrait permettre d’apprécier l’œuvre différemment, avec une meilleure balance entre l’orchestre et le chant.