L'Instant Lyrique complice de Thomas Bettinger et Nicolas Cavallier
Thomas Bettinger et Nicolas Cavallier se rattachent à des générations de chanteurs différentes. En fait, 20 années les séparent. Mais loin de créer un quelconque antagonisme, cette relative distance dans le temps fonde une solide complicité qui ne cesse de rejaillir tout au long de cette belle soirée. Elle les verra même donner ensemble en bis comme en marque suprême d’amusement La Barcarolle des Contes d’Hoffmann et le fameux Plaisir d’amour de Jean-Paul-Égide Martini (pour voix de femmes). En partant du Faust de Gounod (duo Faust/Méphisto de la fin du premier acte) en passant par l'irrésistible duo Nemorino/Dulcamara Obbligato, obbligato de L'Élixir d’amour de Donizetti, les deux artistes s’assortissent et s'accordent. Vocalement, Thomas Bettinger semble encore un peu contraint dans l’air de Faust Salut Demeure chaste et pure qui sonne un peu mat et dont les longues phrases perdent en tonus sur la durée. Mais l’artiste se libère ensuite notamment dans les mélodies napolitaines -Tu, ca nun chiagne d’Ernesto di Curtis et plus encore dans Core Ingrato (Catari, Catari) de Salvatore Cardillo. La voix s’épanouit pleinement sur la langue italienne, franche et colorée. L’aigu presque claironnant rayonne et distille de riches harmoniques qui enchantent le public.
Avec la romance de Kleinzach tirée des Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach aussi bien chantée que jouée (Nicolas Cavallier prenant à sa charge les interventions des chœurs), Thomas Bettinger apparaît tout à fait prêt à aborder ce répertoire plus lourd. Dans l’attente, son agenda est déjà bien chargé avec le Chevalier de la Force des Dialogues des carmélites de Francis Poulenc au Théâtre du Capitole à Toulouse (réservations), Lenski d’Eugène Onéguine à l’Opéra de Marseille (février 2020), Tybalt du Roméo et Juliette de Gounod à l’Opéra National de Bordeaux (mars), Alfredo de La Traviata à l’Opéra de Saint-Étienne (juin), scène qui lui a confié ses premiers rôles importants.
Nicolas Cavallier pour sa part fréquente depuis bientôt trente ans les scènes lyriques. Cette saison, il franchira une nouvelle étape en interprétant à l’Opéra national de Bordeaux le rôle-titre du Démon d’Anton Rubinstein, œuvre ambitieuse trop rarement donnée. Un air extrait de l’ouvrage permet de se faire une première idée de la future interprétation du baryton-basse, mais il conviendra de l’entendre sur la totalité d’un rôle particulièrement exigeant. L’air de Coppelius des Contes le trouve particulièrement à son aise. La voix s’imprègne de chaudes couleurs, profondes sans doute mais sans affectation et l’interprétation du personnage s’avère pleine de saveur. Il aborde aussi pour la première fois un air de concert de Mozart, qui lui tient particulièrement à cœur comme il prend le temps de l’expliquer au public, Per questa bella mano. Daté de la fin de la trop brève existence du compositeur, cet air requiert la participation active d’un contrebassiste à qui Mozart a réservé de nombreuses difficultés. C’est le remarquable soliste de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Yann Dubost qui tient avec brio la partie. Il joue sur un vénérable et retentissant instrument de 1732 ! Antoine Palloc se montre quant à lui toujours inspiré et profondément attaché aux chanteurs.