Rusalka, drame contemporain à Strasbourg
C’est un drame contemporain que peint Nicola Raab (à travers des vidéos projetées en fond de scène, qui reviennent comme des leitmotives) : celui d’un couple, formé sur une plage, rencontre des mondes aquatique et terrestre, brisé par les pulsions sexuelles de l’homme plus fortes que sa volonté, et qui tente de violer sa compagne réticente. Rongé par le remords, il se suicide dans sa baignoire (mourant en se fondant dans le monde de l’eau, comme le Prince de l’opéra) tandis que la jeune femme, regrettant de n’avoir pas su répondre aux attentes de son amant, enlace son corps sans vie. Dès lors, l’opéra de Dvořák explore la psyché de ces personnages. La Princesse étrangère y est un double fantasmé de Rusalka : celle qui comprend les codes et les pulsions du Prince, et sait y répondre. C’est donc Rusalka que le Prince regarde lorsqu’il révèle à la Princesse l’amour qu’il lui porte. De nombreuses autres pistes narratives sont explorées (la petite fille malade qui guérit en lisant l’histoire de Rusalka, les nymphes dont la pureté est salie par les actions de leur sœur et finissant par dévorer la nature qu’elles devraient défendre, etc.) qui, bien que pertinentes en soi, ne sont pas assez filées et nuisent à la cohérence globale de la dramaturgie.
La direction musicale d’Antony Hermus, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg fait émerger de belles couleurs durant l’ouverture, par ses premières notes suspendues et par l’expressivité des élans orchestraux. Toutefois, un manque d’équilibre sonore avec le plateau noie ensuite les prestations des solistes qui doivent lutter pour dépasser l’orchestre. Les délicates ondées de la harpe accompagnent toutefois avantageusement les plus beaux moments de l’œuvre. Le Chœur de l’OnR délivre une intervention très cohérente et d’une grande musicalité.
Pumeza Matshikiza peint Rusalka en femme-poisson (elle arbore momentanément une nageoire de sirène, sans que n’en apparaisse clairement la raison, ni avant ni après) échouée sur la terre. Comme son personnage, elle doit faire face à un environnement hostile (volume orchestral, plateau penché, mise en scène lui faisant vomir des poissons juste avant sa délicate ode à la Lune, etc.). Manquant de volume, elle joue la carte d’un timbre doux, chaud et rond avec une belle conduite de voix, mais son chant manque des reliefs et des contrastes qui mettraient en valeur cette esthétique musicale.
Bryan Register, bien que mal à l’aise dans le jeu théâtral, offre au Prince une voix claire et vaillante, au timbre dur mais à la conduite vocale nuancée. Attila Jun est un Vodnik dont la puissance donne parfois le frisson, mais capable également de nuances. Son timbre corsé est doté d’un large vibrato qui met en péril la justesse lorsque les notes sont tenues. En Princesse étrangère, Rebecca von Lipinski manque de flamme pour contrebalancer le costume sobre et androgyne qui n’évoque ni la passion, ni la séduction. Son phrasé est vigoureux, parfois violent même, malgré un timbre au velouté rondement vibré. Patricia Bardon est une Jezibaba distinguée, à la voix chaude et brillante mais qu’elle sait acidifier pour faire transparaître la cruauté du personnage.
L’Opéra du Rhin fait confiance aux artistes (actuels ou anciens) de son Opéra Studio, dont sont issus tous les seconds rôles. Les trois nymphes, Agnieszka Slawinska, Julie Goussot et Eugénie Joneau, sont bien ensemble et proposent un chant vif et expressif, un jeu scénique impliqué et rehaussé par un remarquable mélange de timbres. Jacob Scharfman se prête à la fois aux exigences du Chasseur et du Garde-forestier. Son timbre sombre au grain sucré est légèrement engorgé dans le médium. Claire Péron est un Marmiton à la voix de mezzo claire, trouvant de belles résonances dans le grave.
Si les amoureux de l’œuvre regretteront que le ballet ait été coupé (les leitmotives associés perdant alors leur sens), la recherche esthétique de la mise en scène, les jeux de perspective, les contrastes et les éclairages, sont appréciés du public qui accueille chaleureusement l’ensemble des protagonistes.