Garanca en récital au TCE, de l'Italie à l'Espagne, d'opéra en zarzuela
Italie, Espagne, Lettonie, Royaume-Uni, Gibraltar, Allemagne et même une ultime surprise française : ce récital est une ode à l'Europe. L'opéra italien et la zarzuela espagnole sont défendus par la chanteuse lettone et le chef britannique (de nationalité et de décoration par la Reine) Gibraltarien d'origine, à la tête d'un orchestre allemand.
La soirée balaye les contrées comme elle balaye les musiques, dans une énergie fougueuse de nuances, timbres, rythmes et tempi. La prestation instrumentale considérée dans son ensemble est un immense crescendo-accelerando en deux temps (les deux parties du concert). Les instruments cavalcadent à travers les ouvertures de Luisa Miller et La Force du destin, même de l'Intermezzo dans Manon Lescaut au risque de perdre la rondeur des immenses vagues orchestrales qui submergent l'auditoire chez Puccini. Le programme intègre de surcroît la très célèbre "cavalerie légère" de l'opérette éponyme composée par Franz von Suppé, sans rapport avec le reste du programme sinon qu'elle maintient le tempo tout en offrant une pause à la chanteuse parmi les mélodies espagnoles.
Les musiciens savent toutefois et d'autant mieux ralentir et se faire presque silencieux pour mieux laisser s'exprimer les solistes instrumentaux (clarinette, violoncelle particulièrement appréciés) et surtout la chanteuse. Comme l'orchestre, cette voix balaye les nuances aussi immenses que son ambitus, depuis un grave profondément poitriné jusque vers de très hauts aigus, lyriques. Une voix de mezzo qui est l'inverse d'un "milieu" entre contralto et soprano bien que la plupart des chanteuses de ces deux tessitures aimeraient disposer ainsi de ces notes.
L'orchestre et la voix soutiennent également, par ces qualités, la cohérence du programme en rapprochant la tradition italienne d'opéra et la tradition espagnole de zarzuela. Les flûtes trillent sur la harpe aussi bien dans Don Carlo de Verdi que pour La boda de Luis Alonso de Gerónimo Giménez. L'ampleur opératique constante de Garanca rappelle que la zarzuela est un genre lyrique, son grave aussi chaud et intense que son vibrato rappelle combien l'opéra est méditerranéen (l'opéra prend ses couleurs espagnoles, a fortiori pour le Don Carlo de Verdi qui se déroule en ce pays, ainsi qu'en France).
Garanca interprétait la version française de cet opus en début de saison 2017/2018 :
La chanteuse présente (en anglais) le dernier morceau au programme et les trois bis. "No puede ser" a beau être un air masculin (celui de Leandro dans La Taberna del Puerto), Garanca rappelle bien qu'elle a déjà beaucoup chanté des rôles en pantalon (Cherubino, Octavian, Sesto), elle "connaît ce genre" et évite ainsi "l'ennui de toujours chanter les mêmes arias". Allant plus loin encore, elle explique qu'en contactant les ayant-droits de Pablo Sorozábal, ceux-ci lui ont confirmé que le compositeur aurait lui-même souhaité que "No puede ser" soit également chanté par une femme : "Here I am" (me voilà) proclame la Garanca. D'autant qu'elle confirme dans la fusion des genres la puissance de son travail vocal : ses graves ont une force bary-tonnante et la puissante couverture de ses aigus rappelle la technique de ténor dans les aigus. Elle confirme en outre la précision de son travail sur l'articulation espagnole (marquant la différence entre s sifflant et souple zeta, h très aspiré, ll prononcé j à l'Argentine en souvenir du programme hispanisant qu'elle donnait récemment à Buenos Aires).
Il ne manquerait à ce tour de chant et pour le bonheur absolu du public français qu'une œuvre de légende désormais attachée à cette interprète, un opéra situé à Séville par exemple qui pourrait faire l'union entre les péninsules italienne et espagnole, en étant chanté en français (dans la langue de leur pays passerelle). Le triomphe de Garanca est donc évidemment acquis d'avance lorsque, après avoir annoncé pour ce troisième bis "celle-là, vous devinerez", résonnent les premières notes de la Habanera de Carmen.