Un siècle à Nancy : si sûr Sigurd de Reyer !
Le 14 octobre 1919 à 19h, soit 100 ans jour pour jour et heure pour heure avant cette représentation, l’Opéra de Lorraine rouvrait ses portes suite à la destruction de son théâtre par un incendie, précisément avec ce Sigurd d’Ernest Reyer. L’œuvre s’inspire des mêmes légendes germaniques que le Ring de Wagner : sous l’effet de pouvoirs maléfiques et des ruses de Hagen, Sigurd/Siegfried aide Gunther à obtenir l’amour de la Valkyrie Brünehilde -que le pouvoir du dieu Odin/Wotan lui réserve pourtant- en échange de la main de Hilda/Gutrune. La composition a débuté en 1862 (L’Or du Rhin de Wagner n’a alors pas encore été créé) mais la création n’eut lieu (à La Monnaie de Bruxelles) qu’en 1884 (soit après la création du Crépuscule des dieux en 1876). La musique est toutefois bien française, et puise sa puissance chorale chez Berlioz, sa précision orchestrale chez Gounod, deux compositeurs alors retraités. La densité musicale rappelle Massenet, qui présente son premier succès, Manon, la même année. Certes, l’œuvre souffre de quelques longueurs, mais elle n’est pas dénuée de couleurs, ni d’airs qui restent en tête.
A la tête de l’Orchestre national de Lorraine, Frédéric Chaslin (qui n’attend pas qu’une interminable sonnerie de téléphone se taise pour lancer l’orchestre), délivre une battue sèche et obtient une rigoureuse homogénéité dans une interprétation empreinte de gravité : les musiciens font corps et servent l’œuvre par d’impétueuses mises en avant solistes. Les chœurs de Nancy et d’Angers Nantes manquent de justesse rythmique (dès la première syllabe) mais offrent une interprétation puissante et compacte.
L’écriture vocale est massive et les rôles principaux sont lourds à porter. Leurs interprètes masculins pourtant, loin de s’économiser, font étalage de leur puissance (leurs personnages, de fait, sont des guerriers) mais laissent du coup peu de place aux nuances. Les deux derniers actes, dans lesquels les voix féminines ont une place plus prépondérante, paraissent dès lors plus subtiles et plus colorées. Dans le rôle-titre, Peter Wedd, très élégant, délivre sans fatigue de vaillants aigus et des graves structurés dans une ligne vocale finement dessinée, mais trop uniformément forte et à la diction ampoulée. Son timbre d’airain joliment couvert dispose d’intenses résonateurs. Jean-Sébastien Bou incarne Gunther avec décontraction. Son timbre boisé s’épanouit dans le médium et garde sa luminosité dans l’aigu. Les graves en revanche sont étouffés. La prononciation est toujours précise et délivrée avec gourmandise.
Wagnérienne chevronnée, Catherine Hunold se présente en expressive Brünehilde (à la limite du sur-jeu parfois) dans une robe rouge écarlate. Chaque mot est délicatement posé (mais pas toujours compréhensible), le phrasé bénéficiant d’une grande subtilité et de nuances affirmées (les piani étant émis la bouche grande ouverte pour s’assurer de la plus grande maîtrise de son instrument). Le timbre velouté s’appuie sur un vibrato léger, y compris lorsque le volume s’élargit ou dans des graves chauds à la grande force dramatique. Le visage fermé par le stress, Camille Schnoor (Hilda), très applaudie au moment des saluts, apporte une touche de fraîcheur par un timbre fruité et délicat, des graves cuivrés, et une projection vigoureuse au vibrato rapide et serré. La diction est appliquée mais sacrifie certaines syllabes à la musicalité du phrasé.
Marie-Ange Todorovitch prête à Uta de profonds graves poitrinés, dont la projection médiane autant que le vibrato sont façonnés en rondeur. Les passages plus vigoureux, lorsque la terreur s’empare de son personnage, sont plus durs, sans pour autant générer de stridence. Jérôme Boutillier prête sa voix puissante au phrasé ferme à Hagen. La main tendue en avant, il délivre un timbre corsé qui sait s’éclaircir dans son passage champêtre. Avec son phrasé autoritaire et menaçant en Grand-Prêtre d’Odin, Nicolas Cavallier présente une voix large dont le timbre s’échauffe au fil de son intervention. Eric Martin-Bonnet est le Barde dont les graves profonds et larges restent structurés. Enfin, Olivier Brunel délivre les lignes de Rudiger d’un timbre rocailleux.
Le public fête dignement les acteurs de ce centenaire placé sous le signe de la découverte et du répertoire français.
Edgar Degas a peut-être vu #Sigurd dErnest Reyer 37 fois (!), mais il naura pas connu le choc ni le bonheur de la Brunehild de Catherine Hunold ni du Gunther de Jean-Sébastien Bou ! L@Opera_Nancy, tout juste centenaire, soffre un beau cadeau : le chant français en gloire pic.twitter.com/C2520DnCdT
— Jean-Marc (@jmnrichter) 15 octobre 2019