Tous les matins du monde par La Chapelle Harmonique à l’Auditorium du Musée du Louvre
Entourés du comédien Jean-Damien Barbin pour les passages lus et des chanteuses Alice Duport-Percier et Axelle Verner, Valentin Tournet et son ensemble offrent un éclairage nouveau sur les œuvres de Sainte-Colombe et de Marin Marais.
Élaboré par Valentin Tournet, ce concert-lecture est une subtile synthèse artistique du roman Tous les matins du monde de Pascal Quignard et de son adaptation filmique. Cette fusion s’opère d’abord par le mariage réussi des mots de l’auteur et de la musique du film qui est interprétée dans le même ordre que celui de la bande-son, plaçant ainsi les œuvres de Sainte-Colombe et de Marin Marais dans une continuité narrative. Les passages à la fois fictifs et biographiques du roman prennent alors corps, au travers de la voix de Jean-Damien Barbin mais aussi des œuvres pour viole de gambe des deux compositeurs. Avec précision et sobriété, Valentin Tournet et Natalia Timofeeva interprètent à la viole ce répertoire expressif, telle une autre voix, celle du cœur des compositeurs. Des Pleurs aux ambitieuses Improvisations sur « Les Folies d’Espagne » en passant par la très célèbre Marche du Bourgeois gentilhomme de Lully, se dessine la confrontation de deux univers caractéristiques du XVIIè siècle : l’un, austère, celui du janséniste Sainte-Colombe, l’autre, tourné vers la gloire de la cour royale, voie choisie par Marin Marais. À cette synthèse musico-narrative s’ajoute une mise en scène qui restitue de manière minimaliste, mais efficace, l’atmosphère des lieux contés. Deux panneaux peints inspirés des œuvres du XVIIe réalisés par Luc Pommet, étudiant aux Beaux-Arts de Paris, ainsi qu’un rideau au fond de la scène sont mis en valeur par des éclairages délicats et changeants selon les lieux racontés.
Avant la moindre note de musique, c’est la voix de Jean-Damien Barbin qui s’élève. Tel un conteur, assis à une table, sur le côté de la scène, il offre une direction et une résonance aux mots. Sa voix grave et quelque peu granuleuse fait curieusement écho au timbre épais de la viole de gambe. Le texte enfle et respire aux crescendi et faiblissements de sa voix.
Peu nombreuses mais tout aussi mémorables, les œuvres vocales sont interprétées avec finesse par les deux chanteuses rompues au répertoire baroque. Avec grâce et légèreté, la soprano Alice Duport-Percier aborde les touches modales de la chanson populaire Une jeune fillette. Les sourcils doucement froncés, elle illustre les douleurs contenues dans les paroles, et ainsi, colore davantage son timbre de voix. Parfois plaintive, la courbe des aigus frôle la dissonance avec les harmonies de la viole si facilement désaccordée. Plus charnue, la voix de la mezzo-soprano Axelle Verner épouse pleinement les ornements baroques. Sa posture demeure droite et détendue. Ensemble, elles forment un duo à la texture pleinement homogène, particulièrement dans les passages à l’unisson où leurs voix se fondent l’une dans l’autre. Si quelques défauts de justesse sont repérables, ces derniers passent presque inaperçus, tant leur interprétation est naturelle et incarnée.
Profondément concentré, le public quitte apaisé ce retour sur les œuvres baroques et sur celle de Quignard. Nul doute que les acteurs du film, dont certains étaient présents dans la salle, aient été émus (a fortiori quelque temps après le décès de Jean-Pierre Marielle) par ce spectacle aux couleurs anciennes mais fraîches. Le bis chanté, Belle qui tient ma vie, est à l’image du concert : soigné et vivant de simplicité.