Platée, "Que ce séjour est agréable" en l’Abbaye de Royaumont
Platée de
Jean-Philippe Rameau se trouve ici dédié à Jean-Claude Malgoire, très
régulièrement présent à la Fondation Royaumont jusque dans les
années 1990 et grand défricheur du répertoire lyrique baroque. Il
a dirigé Platée à plusieurs reprises au concert, l’offrant dans
son Atelier Lyrique à Tourcoing et il y a déjà 30 ans avec le
second enregistrement discographique de l’ouvrage après celui
légendaire du Festival d’Aix-en-Provence de 1956 dirigé par Hans Rosbaud avec le non moins légendaire Michel Sénéchal dans le rôle-titre.
Présenter Platée de Jean-Philippe Rameau en version de concert n’est certes pas une sinécure. Le volet scénique apparaît essentiel afin de profiter pleinement de toute la saveur de cet ouvrage bouffe si atypique, de la diversité de ses ballets, et en vue de déclencher le rire ou l’émotion. L’histoire de cette Grenouille à la fois ridicule et aspirant à l’amour absolu, même celui du divin Jupiter, monstre d’infidélité, se veut le reflet d’une époque, celle du règne de Louis XV, mais son actualité demeure toujours aussi brûlante et parle décidément au cœur.
À la tête de ses orchestre et chœur Les Ambassadeurs, Alexis Kossenko s’empare de l’ouvrage avec une énergie communicative, privilégiant un tempo un rien rapide, plus retenu parfois, plus simplement alerte dans les nombreux passages musicaux réservés à la danse. L'étroitesse de la scène dressée au sein du Réfectoire des moines, oblige les solistes à sortir après chacune de leur intervention ou presque, ce qui perturbe l’attention et l’écoute. Dans le rôle-titre, le ténor suédois Anders J. Dahlin, habitué du répertoire baroque, propose un portrait un rien forcé de Platée, très démonstratif. La voix pourtant peine à suivre, hésitante dans le registre aigu et pas suffisamment claire pour exploiter toutes les subtilités et la souplesse d’émission du rôle. À ses côtés, le second ténor, Nicholas Scott, tout en marquant lui aussi beaucoup les rôles tant de Thespis que de Mercure surtout, offre un matériau plus libre, de lignes et d’incarnation, qui réjouit visiblement le public présent.
Fine artiste et musicienne, Chantal Santon Jeffery incarne l’Amour et en premier lieu, La Folie. Loin d’en proposer une version débridée notamment dans l’air fameux Aux langueurs d’Apollon, elle reste relativement sage, sans démesure, sans cet excès vocal et cette cascade de vocalises qui justement caractérise ce personnage échevelé. Hasnaa Bennani campe pour sa part Clarine et Junon avec justesse, mais aussi des aigus trop fixes.
Thomas Dolié possède toute la majesté mais aussi la roublardise de Jupiter. Sa voix de baryton au grain sombre sonne à plein dans ce réfectoire, timbrée et large sur l’ensemble de la tessiture. Victor Sicard, relayé par Thomas Dolié lors de la première intervention de Momus (sans que cela ne soit expliqué), révèle ses promesses dans la seconde partie : élève du Jardin des Voix de William Christie, il déploie une voix de baryton bien assise, naturelle au niveau de l’émission et surtout fort expressive. Le baryton-basse Arnaud Richard complète avec acuité le plateau vocal dans le rôle de Cithéron.
Malgré les réserves suscitées par cette version de Platée, l’écoute se tient par la réelle implication de l’ensemble des protagonistes et la direction musicale spécifique d’Alexis Kossenko. Dans cette même configuration, cette Platée sera accueillie au Théâtre des Champs-Élysées le 2 décembre prochain (réservations).