Sonate d’automne d'après Bergman à l'Opéra de Malmö
À l’occasion du centenaire d’Ingmar Bergman (1918-2007), l’Opéra National de Finlande commandait l'année dernière au compositeur finnois Sebastian Fagerlund une adaptation lyrique de son film Sonate d’automne (1978), la seule collaboration entre les deux Bergman (sans lien de parenté) : le réalisateur Ingmar et l’actrice Ingrid.
L’adaptation fréquente de ses films au théâtre, dernièrement de Fanny et Alexandre à la Comédie-Française, témoigne des talents dramaturgiques et scénaristiques de Bergman dans la tradition du réalisme scandinave (Henrik Ibsen et August Strindberg), et la librettiste Gunilla Hemming a gardé beaucoup des répliques évocatrices dans Sonate d’automne.
L’histoire se déroule dans la demeure isolée où Eva habite avec son mari Viktor et sa sœur Helena, atteinte d’un lourd handicap. Après plusieurs années, sa mère absente -la pianiste renommée Charlotte Andergast récemment devenue veuve de son second mari Leonard- leur rend visite. La confrontation est inévitable. Hemming et Fagerlund ont ajouté au drame un chœur, autoréférentiel et admirateur presque sectaire de Charlotte, mais ils ont étonnamment éliminé la pièce dans la pièce, la scène célèbre autour du Prélude en la mineur de Chopin, qui n’y apparaît ni par citation, ni comme pastiche ou adaptation et qui n’est pas non plus remplacée par autre chose concrétisant en musique la première confrontation non verbale entre mère et fille.
Sebastian Fagerlund emmène, dès l’ouverture, avant le lever du rideau, le chant simultané et le mélange de chant et dialogue parlé, ainsi que la répétition de tournures clé, bien que ces outils classiques mettent parfois en péril la compréhension (dans l’échange simultané de répliques parlées) ou la subtilité (la répétition des phrases devient souvent prévisible et parfois comique de façon involontaire). Déjà, l’ouverture arbore une riche orchestration, mais difficile à percer pour les chanteurs. Leurs phrases excessivement prolongées et lentes sont difficiles pour eux et regrettables pour le rythme dramatique. Le chef Patrik Ringborg mène le chœur habile et l’orchestre attentif avec une précision douce. Il relie les différentes scènes et vitalise le drame par de fines modulations de la texture orchestrale et par ses suggestions sonores qui égalent la subtilité du dialogue bergmanien, sans oublier l’énergie et la détermination dramatique ou les gestes musicaux illustrant l’action sur le plateau.
Stéphane Braunschweig signe la mise en scène et les décors, les mêmes qu’à Helsinki. Le metteur en scène français a, en plus d’une vingtaine d’opéras, monté plusieurs pièces d’Ibsen et semble un choix pertinent aussi pour Ingmar Bergman. Il investit le cadre scénique de 21 mètres de large (Bastille et Garnier en mesurent environ trente) en délimitant différentes chambres-carreaux (de bas en haut) pour souligner la distance entre les personnages et leur séparation, plutôt que leur confinement dans la demeure isolée. Des projections et des rideaux semi-transparents (qui étouffent légèrement les chanteurs) aident à la variation de couleurs et à « automniser » l’espace.

Quant au plateau vocal, deux nouveaux interprètes rejoignent trois membres de la distribution originelle. Charlotte Hellekant (mezzo) incarne Charlotte (Andergast), dont l’ensemble pantalon gris (costumes : Thibault Vancraenenbroeck) rappelle l’habit des placeuses à Bayreuth, les blaue Mädchen (filles bleues) désormais grises. Par rapport à l’interprétation d’Ingrid Bergman, le portrait de la mère dans l’opéra semble d’emblée plus superficiel. Hellekant parvient toutefois à rendre ses interventions, comme son aria « Deux Valium, deux Mogadon », avec une authenticité touchante, évitant ainsi l’effet involontairement comique qui guette partout dans l’opus. Elle déploie un registre grave sûr ainsi qu’une transition habile entre chant et déclamation, son timbre riche et clair rendant le personnage vocalement moins âgé qu’Anne Sofie von Otter (qui l’a créé).

Comme Hellekant, le baryton Fredrik Zetterström (Viktor) maîtrise les longues notes et phrases de l’écriture vocale, les rendant denses et nuancées, surtout dans le registre grave. Dans son chant, réside un grand deuil et une expansivité réprimée, que les spectateurs devinent avec son aria racontant la mort par noyade de son fils Erik (un traumatisme également traité dans Petit Eyolf d’Ibsen), donnant ainsi du relief au pasteur-mari d’Eva.

Le rôle de celle-ci est repris par Erika Sunnegårdh, habituée aux portraits de filles résolues : Senta, Salomé, Turandot et Regan (dans Lear de Reimann, à voir cette saison à Paris). Sunnegårdh mène son soprano dramatique, aux aigus énergiques (mais légèrement détaché dans les graves), jusqu’à ses limites pour transmettre les émotions fortes et complexes du rôle. Elle se retrouve de nouveau aux côtés de Nicholas Söderlund, qui prête sa basse chaleureuse et équilibrée à l’apparition du défunt Leonard, violoncelliste et second mari de Charlotte, comme Helena Juntunen en Helena, la sœur handicapée. Elle fait magistralement la transition entre son haut registre retentissant et l’expression d’agonie au-delà du chant et du langage, sans esthétiser l’expérience d’incapacité. Son personnage se retrouve ici valorisé, et même libéré de son invalidité pendant une scène semi-onirique à l’acte II, où Juntunen déploie son soprano chaleureux et légèrement gazouillant.
