Iolanta / Casse-Noisette à l’Opéra Garnier offre une soirée féérique
Stéphane Lissner, le Directeur de l’Opéra de Paris, avait annoncé vouloir mettre en valeur les « masses artistiques » de l'institution. Cela s’était d’abord traduit, en début de saison par la programmation de Moïse et Aaron de Schoenberg, qui avait mis en lumière le travail grandiose de l'orchestre et du chœur. Cela se traduit de nouveau dans cette production associant l’opéra Iolanta et le ballet Casse-Noisette, deux œuvres de Tchaïkovski qui n’avaient plus été présentées ensemble depuis leur création. A cette occasion, sont donc réunis l’Orchestre, le Chœur et le Chœur d’enfants, ainsi que les Etoiles, les Premiers danseurs et le Corps de ballet de l’Opéra de Paris.
L’opéra, Iolanta, narre l’histoire d’une princesse aveugle, vivant isolée afin de n’être point informée de sa cécité. Elle vit donc sans imaginer qu’il soit possible de voir, sans conceptualiser ce qu’est une lumière, jusqu’au jour où un Chevalier, Vaudémont, l’approche, tombe amoureux d’elle, et lui révèle son handicap, ouvrant la voie à sa guérison.
Sonya Yoncheva et Arnold Rutkowski dans Iolanta (© Agathe Poupeney)
C’est la soprano Sonya Yoncheva, qui n’était pas revenue à l’Opéra de Paris depuis la Lucia di Lammermoor qui l’avait révélée en 2013, qui interprète le rôle-titre. Comme en 2013, d’ailleurs, la chanteuse aura interprété cette année la Première de la production en version concertante, une grève empêchant la tenue d’une version scénique. Et comme en 2013, la soprano a ébloui le public lors de cette seconde représentation, en version scénique cette fois, dans sa robe blanche légère (rappelant également celle de sa Lucia). Son interprétation, alliant sensibilité et expressivité, émeut. Sa gestuelle et sa démarche, manifestement très travaillées, crédibilisent d’emblée la cécité de son personnage. Son jeu sans parole, c’est-à-dire lorsque l'intrigue s'attache à d’autres personnages, captive. Enfin, sa voix de velours, portée par une projection, une prononciation et une intention sans pareil, la place sans conteste au sein du club très fermé des plus grandes sopranos du monde. Rares sont en effet les voix, si parfaites sur l’ensemble de la tessiture, capables d’aller directement au cœur du spectateur.
Face à elle, le ténor polonais Arnold Rutkowski interprète Vaudémont. Le spécialiste du rôle (c’est déjà lui qui le tenait à Aix-en-Provence l’été dernier, et lui encore qui le chantera à Lyon en mai dans la mise en scène de Peter Sellars) brille par sa puissance et sa maîtrise, malgré un jeu légèrement figé. Sa voix se marie parfaitement à celle de Yoncheva, offrant un duo de grande qualité. Son entrée avec Andrei Jilihovschi, chanteur du Bolchoï, apporte un vent de fraîcheur à l’ensemble. Ce dernier déploie fougueusement sa voix de baryton dans une intervention très applaudie.
Iolanta par Tcherniakov à l'Opéra de Paris (© Agathe Poupeney)
Le Roi René (qui donnait son nom à l’œuvre dans les premières esquisses de Tchaïkovski) est magnifiquement interprété par Alexander Tsymbalyuk (le Commandeur en début de saison à Bastille dans Don Giovanni). Sa voix grave au timbre soyeux libère une puissance vocale faisant fi de la masse orchestrale. Son crescendo accompagnant la montée chromatique de son premier air reste l’un des témoignages des nuances qu’il apporte à son chant. Le docteur Maure Ibn-Hakia est interprété par un Vito Priante convaincant, bien que parfois couvert par l’orchestre. La voix sombre d’Elena Zaremba en Martha, la puissance aiguisée si caractéristique du chant russe de Roman Shulakov en Alméric, la voix de basse atteignant les tréfonds de la tessiture de Gennady Bezzubenkov et la complémentarité des voix d’Anna Patalong (Brigitta) et Paola Gardina (Laura) complètent admirablement une distribution des plus soignée.
Si l’action se déroule normalement dans un jardin, le metteur en scène Dmitri Tcherniakov, fait évoluer ces personnages dans un tout petit salon bourgeois, sur scène réduite, encombré d’une table, de fauteuils et d’un sapin, obligeant régulièrement les chanteurs à longer les murs. Tout cela, très soigné au demeurant, paraît bien sage pour du Tcherniakov. Trop sage, même. C’est que la folie créatrice du scénographe n’explose qu’après la fin de l’opéra. Alors que les chanteurs saluent, des sosies se substituent à eux tandis que la scène recule dans une sorte de traveling arrière, et qu’un intérieur style année 50 peuplé de spectateurs apparaît à l’avant-scène : l’opéra n’était qu’un théâtre dans le théâtre. Le chef Alain Altinoglu, magistral durant l’ensemble de la soirée, lance l’ouverture du ballet. Les sosies des chanteurs descendent de leur scène, embrassent Marie (dansée par Marion Barbeau), pour l’anniversaire de laquelle l’opéra fut joué, et se débarrassent de leurs costumes, prêts à danser les pas imaginés par Arthur Pita, Edouard Lock et Sidi Larbi Cherkaoui sur un livret totalement réinventé.
Casse-Noisette mis en scène par Tcherniakov (© Agathe Poupeney)
L’anniversaire de Marie se déroule dans la bonne humeur, les jeux s’enchaînant. Celle-ci s’éprend du Prince ayant chanté Vaudémont dans l'opéra. Lorsque les invités s’en vont, Marie rêve que ce dernier la rejoint. Mais le rêve se transforme en cauchemar : ses proches reviennent, tuent Vaudémont et détruisent la maison. Depuis les ruines du salon jusque dans une grande forêt puis une prairie peuplée de jouets gigantesque (reproductions des véritables jouets d’enfance de Tcherniakov), Marie n’aura de cesse de rechercher son Prince. La valse des fleurs, magnifique, voit des clones de Marie et du Prince danser, vieillissant petit à petit, rejoints par des enfants, qui finissent par les quitter. Arrivés à un âge avancé, les couples continuent de danser, jusqu’à ce que des Maries et des Princes se retrouvent à danser seuls, leur moitié décédée. Marie se réveille finalement dans son salon, seule mais riche de cette quête initiatique imaginaire. Le public est conquis, et les quelques sifflets accompagnant l’apparition du metteur en scène ne parviennent pas à faire retomber les étoiles qui brillent dans les yeux des spectateurs éblouis par une soirée d’une grande richesse artistique.
Réservez vite vos places pour la reprise de cette production à Paris du 9 au 24 Mai 2019
Vous avez vu ce spectacle : rédigez votre critique sur la page dédiée !
Pour ne rien manquer de l'actualité de Sonya Yoncheva, cliquez sur "Ajouter aux favoris" sous le nom de sa page après vous être connecté.
Vous souhaitez donner votre avis sur ce compte-rendu : rendez-vous dans l'espace de commentaires ci-dessous !