Le sel de la jeunesse aux BBC Proms
La
jeunesse est reine pour ce trente-deuxième concert des BBC
Proms 2019. L’Orchestre National des Jeunes des États-Unis,
pantalons rouges et baskets aux pieds, est composé de la crème des
meilleurs musiciens du pays entre 16 et 19 ans, qui ont préparé ce
concert en trois semaines de travail intensif avant leur tournée
européenne qui les emmène, après Londres, à Amsterdam et
Hambourg. La formation se renouvelle chaque été et a l’honneur
d’être formée et dirigée par un chef différent. Antonio Pappano, Directeur musical du Royal Opera House, préside
la formation cette année.
Le programme s’ouvre sur Occidentalis du très prometteur Benjamin Beckman, âgé de 19 ans. Le jeune compositeur s’est inspiré des migrants du siècle dernier partis pour le Nouveau Monde. Il a évoqué par ailleurs dans un entretien à la BBC son inquiétude quant à la xénophobie rampante dans son pays. L’œuvre est donc une célébration du courage des migrants et une évocation de leur désir d’un avenir meilleur. Les cuivres étincelants de l’Orchestre National des Jeunes de Grande-Bretagne laissent éclater des fragments de fanfare, parachevés par la virtuosité des bois de leurs collègues américains et une impression durable de vigueur et d’énergie. Électrisé sur scène, Antonio Pappano exécute presque une danse de direction, avant de prendre dans ses bras Benjamin Beckman, qui le rejoint sur scène, longuement ovationné.
La fougue et l’énergie s’apaisent avec Les Nuits d'été de Berlioz, mais Joyce DiDonato obéit au code couleur flamboyant des jeunes en apparaissant sur scène dans une robe rouge carmin. Radieuse, elle fait une révérence au public, avant d’entamer la première des six mélodies. La direction attentive de Pappano change de couleur et imprime au jeune orchestre une grande douceur, voire une solennité et de la mélancolie sur Le Spectre de la Rose.
La mezzo-soprano fait montre d’une grande solidité dans les graves, qu’elle peut tenir longuement, déploie des aigus limpides à l’envolée puissante et déchirante, jusqu’à un vibrato efficace, seulement déstabilisé par la prononciation de la voyelle nasale /on/, complexe pour une anglophone. Si la clarté de diction est évidente dans l’ensemble, quelques passages sont un peu brouillons et le livret nécessaire. Les liaisons propres aux consonnes françaises sont en revanche assurées sans le moindre accroc, et les quelques défauts de clarté sont compensés par un investissement dramatique à la hauteur du texte. La mezzo-soprano est tour à tour radieuse ou mélancolique, mystérieuse ou fataliste, avant de laisser éclater sa joie sous l’ovation unanime du public.
La Symphonie alpestre de Richard Strauss proposée en deuxième partie de programme offre une ascension glorieuse des cordes, des flûtes légères comme de la poudreuse, sous les gestes amples du chef, premier de cordée. Le réalisme sonore de la machine à vent est tel qu’un courant d’air froid semble s’engouffrer dans l’immense salle. L’orgue gigantesque résonne comme les cors, trompettes et trombones dissimulés dans les hauteurs du Royal Albert Hall.
Le triomphe fait aux jeunes musiciens par le public entraîne un rappel. Loin des Alpes et de l’Amérique, le bouleversant Nimrod extrait des Variations Énigma d’Edward Elgar rappelle que le Royal Albert Hall est un haut lieu de la culture britannique. Gageons qu’Elgar sera aussi longuement ovationné pour le flamboyant Pomp and Circumstance qui viendra clôturer le mois prochain la traditionnelle « Dernière Nuit » des légendaires BBC Proms.